Directeur général de l’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg), en fonction depuis octobre 2024, le Pr Fall Mbaye livre une lecture sans détour de la politique énergétique du Sénégal : contenu local, gaz naturel, baisse du prix du kilowattheure, industrialisation, rôle de Petrosen, ambitions régionales, etc. Dans cet entretien, il explique pourquoi l’énergie constitue le principal verrou, mais aussi la plus grande opportunité du développement économique sénégalais.
Pouvez-vous rappeler la mission et le rôle de l’Inpg dans le secteur énergétique sénégalais ?
L’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg) a été créé par décret présidentiel en 2017 pour accompagner le développement des secteurs du pétrole, du gaz et désormais des mines au Sénégal. J’ai pris fonction avec un objectif clair : adapter l’Institut à la nouvelle phase que traverse le pays. Nous ne sommes plus dans l’exploration, mais dans la production du pétrole et du gaz. Et très bientôt, dans une structuration plus poussée du secteur minier. Notre rôle est stratégique, car l’Inpg est le bras armé du contenu local. Il est là pour former, certifier et renforcer les capacités des Sénégalais, afin qu’ils puissent occuper les emplois créés dans ces secteurs hautement techniques et stratégiques.
Justement, quel est, aujourd’hui, le positionnement de l’Inpg dans l’écosystème énergétique national ?
L’Institut joue un rôle central. Quand l’État l’a érigé, en 2017, il a créé en même temps le cadre du contenu local. Ce n’est pas un hasard. L’énergie, c’est l’économie. Sans énergie abondante et pas chère, il n’y a pas d’industrie. Et sans industrie, une économie ne peut pas créer d’emplois durables. Les lois sur le contenu local imposent que, dans certains métiers du secteur, 51 % du capital et 51 % des employés soient sénégalais. Mais, pour appliquer ces lois, encore faut-il disposer de compétences nationales. C’est là que l’Inpg intervient.
L’Inpg n’est donc pas une école classique ?
Exactement ! Un institut n’est pas une école. L’Inpg fait le pont entre l’école et l’industrie. Nous recevons des ingénieurs et des techniciens déjà formés dans les écoles polytechniques au Sénégal ou à l’étranger, et nous les préparons spécifiquement aux réalités des secteurs du pétrole, du gaz et des mines. Nous faisons de la certification, du renforcement des capacités pour les agents déjà en poste, y compris dans l’administration, et aussi des formations diplômantes.
Nous délivrons des diplômes d’ingénieur et de technicien supérieur. Notre mission est de combler le déficit de capital humain dans ces secteurs.
Vous avez annoncé la création prochaine d’un centre de recherche énergétique à l’Inpg. Quelle est la philosophie derrière ce projet ?
Cette initiative part d’un constat simple : les choix énergétiques d’un pays ne peuvent pas reposer sur des slogans ou des décisions administratives déconnectées de la science. Installer des centrales solaires ou des éoliennes parce qu’il y a du soleil ou du vent est une erreur si cela n’est pas appuyé par des études sérieuses. C’est pour cela que nous avons décidé de créer, à l’Inpg, un véritable centre de recherche sur les énergies en partenariat avec l’École polytechnique de Thiès.
Nous sommes en train d’élaborer le cahier des charges pour mettre en place un centre conjoint, capable de produire de la connaissance, de la recherche appliquée et de l’expertise scientifique adaptée aux réalités sénégalaises.
En quoi ce centre de recherche changera-t-il concrètement la politique énergétique du Sénégal ?
Il permettra d’éviter de mauvais choix stratégiques. Aujourd’hui, on parle beaucoup de transition énergétique, on signe des conventions, mais sans toujours maîtriser les impacts techniques, économiques et climatiques des solutions proposées. Avec ce centre, les décisions énergétiques seront éclairées par des données scientifiques produites localement. Nos scientifiques pourront analyser, région par région, quelle source d’énergie est la plus pertinente : solaire, éolien, hydraulique, gaz ou mix énergétique. Les solutions doivent venir de nous, de nos chercheurs, pas être simplement importées. La question de la transition énergétique revient souvent.
Quelle est votre position sur ce débat ?
Il faut être très clair. Avant de parler de transition énergétique, le Sénégal doit d’abord atteindre sa souveraineté énergétique. Aujourd’hui, nous produisons environ 2.200 MW par an. Avec la « Vision Sénégal 2050 », nous visons entre 8.000 et 10.000 MW. Cette montée en puissance doit d’abord se faire avec nos ressources : le gaz et le pétrole.
Tous les pays développés se sont industrialisés grâce aux énergies fossiles. La transition est venue après. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas de recherche sur les énergies renouvelables, mais notre priorité, c’est d’avoir une énergie abondante, disponible et pas chère.
Le futur gazoduc est souvent présenté comme structurant. Pourquoi ?
Parce qu’il va transformer le territoire. Le gazoduc partira de Gta, à la frontière sénégalo-mauritanienne, et va traverser plusieurs zones jusqu’aux environs de Dakar et Cayar. Le long de ce tracé, des industries vont s’installer pour se connecter directement au gaz. Elles pourront l’utiliser pour leurs fours ou même pour produire leur propre électricité. Cela va booster toute la zone traversée. Mais, cela suppose que nous ayons suffisamment de gaz. Justement, les découvertes comme Yaakaar-Teranga changent-elles la donne ? Complètement ! Le gisement Yaakaar-Teranga représente, à lui seul, un potentiel équivalent à celui de Gta. Si nous arrivons à le développer avec un financement majoritairement sénégalais, nous parlons d’une souveraineté énergétique sur près de deux siècles. Le vrai défi, aujourd’hui, c’est le financement.
Et je salue le travail de Petrosen, notamment de son directeur général, qui est pleinement engagé sur ce dossier. Le développement du gaz, singulièrement Yaakaar-Teranga, pose la question cruciale du financement. Où en est-on aujourd’hui ? Le financement est effectivement le nerf de la guerre. Yaakaar-Teranga est un gisement stratégique, équivalent, comme susmentionné, à Gta. Cependant, nous voulons, cette fois-ci, éviter les erreurs commises sur certains montages financiers passés. Notre ambition est d’aller vers un financement le plus endogène possible avec une forte participation sénégalaise. Si nous réussissons cela, ce sera une souveraineté énergétique sur plusieurs générations. C’est un enjeu historique.
Quel rôle joue Petrosen dans cette équation financière et stratégique ?
Petrosen joue un rôle absolument primordial. C’est le bras de l’État dans le secteur pétrolier et gazier. À travers Petrosen Holding, Petrosen Trading et Petrosen Exploration-Production, l’entreprise intervient sur toute la chaîne de valeur : exploration, production, trading et contrôle des flux. Aujourd’hui, le directeur général de Petrosen Holding travaille nuit et jour sur les mécanismes de financement de Yaakaar-Teranga. L’objectif est clair : garantir les intérêts stratégiques du Sénégal et assurer un contrôle réel sur nos ressources.
Peut-on dire que l’Inpg et Petrosen travaillent en synergie sur ces enjeux ?
Absolument ! L’Inpg renforce Petrosen en capital humain et en expertise. Nous formons les ingénieurs, les techniciens et les inspecteurs qui permettront à Petrosen de jouer pleinement son rôle, y compris dans l’exploration, en mer comme sur terre. Le jour où nous découvrirons du pétrole onshore, les coûts de développement et de production chuteront drastiquement. Ce sera une révolution pour notre économie.
Et au-delà de l’Inpg, comment le Sénégal peut-il s’imposer comme un hub énergétique régional ?
L’ambition est claire, car j’ai deux défis. Le premier, c’est de faire de l’Inpg le hub africain de la formation, de l’expertise et de la certification dans les métiers de l’énergie, du gaz et des mines. Et cela a déjà commencé. Des Tchadiens, des Nigériens viennent se former à l’Institut. Le second défi, c’est que le Sénégal dispose actuellement de ressources énergétiques majeures, d’infrastructures en développement et d’un cadre institutionnel qui se renforce. Si nous maîtrisons notre énergie, si nous la rendons abondante et compétitive, alors les industries viendront s’installer ici. Le Sénégal peut devenir, comme le Qatar l’a été au Moyen-Orient, un pôle énergétique et industriel de référence en Afrique. Cependant, cela suppose de la rigueur, de la recherche, de la formation et une vision à long terme. Et nous avons tous les éléments pour y parvenir.
Venons-en à l’actualité. Comment analysez-vous la récente baisse des prix des carburants ?
Il faut d’abord dire que le carburant vendu au Sénégal n’est pas encore issu de notre pétrole. La Société africaine de raffinage (Sar) raffine principalement du brut importé, notamment du Nigeria. La baisse actuelle n’est donc pas un simple effet mécanique de la chute du prix du baril. Elle résulte d’un travail approfondi sur toute la chaîne de valeur : production, transformation, fonctionnement, rendement des machines. Ce sont des calculs scientifiques, pas politiques.
Selon vous, cette baisse peut-elle être durable ?
Oui, elle est durable et elle peut encore s’accentuer. Avec la Sar 2.0, le raffinage optimisé du brut de Sangomar et, demain, le gaz de Yaakaar-Teranga, l’objectif de 60 FCfa le kWh est atteignable. Il reste encore beaucoup de marges d’optimisation, notamment sur les pertes énergétiques et les coûts de fonctionnement. Vous critiquez souvent la dépendance aux importations. Pourquoi ? Parce qu’une économie qui importe trop se fragilise. Quand, par exemple, le chiffre d’affaires du Port autonome de Dakar augmente à cause des importations, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.
Cela signifie que nous consommons ce que les autres produisent. Si nous produisions assez localement, nous créerions des centaines de milliers d’emplois et garderions la valeur ajoutée dans le pays. Et pour produire localement, il faut une énergie compétitive. Tout revient à l’énergie.
source/Le Soleil













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