Le texte récemment publié par Bougar Diouf, se présentant comme
responsable d’une formation politique marginale, n’appelle pas tant une
réfutation qu’une clarification de fond. Non parce que son propos serait
décisif, mais parce qu’il révèle, par sa fébrilité même, une dérive plus large du
débat public sénégalais : la tentation, chez certains acteurs périphériques, de
fabriquer artificiellement des tensions au sommet de l’État pour exister
politiquement, faute de projet structuré, de base populaire et de courage
d’affirmation.
Sous couvert de défense des institutions, ce type de discours installe une lecture
anxieuse et volontairement falsifiée de l’action publique. Il suggère des fractures là
où les mécanismes de l’État continuent de fonctionner, il dramatise des équilibres là
où prévaut la discipline institutionnelle, et il transforme toute expression populaire en
menace potentielle. C’est à cette confusion politique, plus qu’à son auteur que cette
tribune entend répondre.
Il existe, dans toute période de transition démocratique, une mécanique bien connue
: lorsque les repères traditionnels vacillent, certains choisissent la suspicion plutôt
que l’analyse, l’insinuation plutôt que le diagnostic, la tension fabriquée plutôt que la
confrontation des idées. Ces manœuvres ne disent jamais ce qu’elles prétendent
défendre ; elles révèlent surtout ce qu’elles craignent. Et ce qu’elles craignent,
fondamentalement, c’est la légitimité populaire lorsqu’elle échappe aux circuits
établis de contrôle politique.
Au cœur de cette dérive se trouve une confusion centrale, aussi ancienne que
dangereuse : assimiler la loyauté républicaine à l’allégeance personnelle. Or, dans
une démocratie digne de ce nom, l’État ne fonctionne pas par dévotion à des
individus, mais par responsabilité devant la nation souveraine. Le Président de la
République incarne l’unité, la continuité et l’arbitrage institutionnel. Le Gouvernement
agit, met en œuvre, transforme et rend compte.
Un État qui exigerait l’allégeance personnelle comme condition de sa stabilité aurait
déjà cessé d’être une République.
L’histoire politique du Sénégal, pourtant riche d’enseignements, montre à quel point
cette confusion peut être lourde de conséquences lorsqu’elle n’est pas maîtrisée.
La séquence Senghor-Mamadou Dia demeure, à cet égard, fondatrice. Elle ne fut
pas seulement une crise d’hommes, mais une crise de lecture de l’État naissant.
L’affrontement entre une légitimité intellectuelle et institutionnelle d’un côté, et une
légitimité d’action et de transformation sociale de l’autre, fut mal géré, mal arbitrée, et
finalement résolue par la rupture brutale. Ce précédent rappelle une leçon essentielle
: lorsque les désaccords politiques ne sont plus contenus dans le cadre institutionnel,
c’est l’État lui-même qui en paie le prix.
Des décennies plus tard, la séquence Abdoulaye Wade – Idrissa Seck a offert une
autre illustration, différente mais tout aussi éclairante. Là encore, la divergence
politique réelle, profonde aurait pu être assumée dans la durée, arbitrée par le temps
démocratique et les urnes. Elle fut au contraire précipitée, dramatisée,
instrumentalisée, donnant lieu à une rupture dont les coûts politiques et
institutionnels ont durablement marqué le pays. L’histoire retiendra que la
précipitation et la personnalisation du conflit ont affaibli l’action publique bien plus
qu’elles ne l’ont clarifiée.
Ces précédents ne sont ni des parallèles mécaniques, ni des prophéties. Ils sont des
enseignements. Ils rappellent une vérité simple : toute démocratie gagne à contenir
ses divergences politiques dans le cadre de l’État, plutôt qu’à les transformer en
crises institutionnelles ouvertes sous la pression d’acteurs impatients.
C’est précisément ce cadre que certains discours actuels cherchent à fragiliser, en
présentant toute divergence comme une anomalie, toute retenue comme une
faiblesse, et toute discipline institutionnelle comme une compromission. Cette lecture
est non seulement erronée ; elle est dangereuse.
C’est dans ce contexte qu’apparaît la peur obsessionnelle de la mobilisation
populaire. Depuis quand l’adhésion citoyenne serait-elle devenue un danger pour
l’État ? Depuis quand l’organisation politique, lorsqu’elle échappe aux circuits
anciens du clientélisme et de la mise en scène artificielle, devient-elle suspecte ? Ce
que certains appellent avec mépris « la rue » n’est rien d’autre que l’expression brute
de la souveraineté populaire, celle-là même qui fonde toute autorité démocratique.
Ousmane Sonko n’a jamais fabriqué cette mobilisation. Il en est l’expression
politique, forgée dans la constance, la clarté du discours et la cohérence de
l’engagement. Il ne l’oppose pas à l’État ; il la relie à l’action publique, à l’exigence de
résultats et à la reddition de comptes.
On ne fabrique pas une mobilisation populaire : on la mérite.
C’est précisément cette vérité simple qui dérange ceux qui n’ont jamais mobilisé
personne, jamais convaincu, jamais porté une espérance collective crédible.
L’instrumentalisation territoriale qui accompagne ces discours anxieux révèle la
même faiblesse analytique. Certains territoires deviennent des prétextes, non pour
penser la réparation historique, la justice sociale ou le développement équilibré, mais
pour projeter des peurs fabriquées ailleurs. Cette approche est à la fois centraliste,
condescendante et politiquement stérile. La République ne se consolide pas par la
peur du peuple, mais par sa reconnaissance et son inclusion.
Qu’on soit clair : il ne s’agit pas ici de répondre à un homme, ni de régler un compte
personnel. Il s’agit de corriger une lecture dangereuse de l’État, qui consiste à faire
croire que l’autorité se fragilise lorsqu’elle est entourée d’adhésion populaire, et
qu’elle se renforce lorsqu’elle se coupe de la société vivante. L’histoire politique
sénégalaise démontre exactement l’inverse.
Une autre question, plus politique encore, mérite alors d’être posée avec sérieux.
Ces discours sont-ils portés par une conviction doctrinale sincère, ou servent-ils de
paravent à des acteurs plus installés, mais trop prudents pour assumer publiquement
leurs craintes et leurs ambitions ? L’histoire politique est familière de ces stratégies :
envoyer des lampistes au front, tester l’opinion, provoquer la polémique, puis se
retrancher dans le silence lorsque la riposte intellectuelle tombe. Cette méthode ne
produit ni leadership, ni crédibilité, ni respect durable.
Parler par bouche empruntée est déjà une défaite politique.
La vérité, pourtant, demeure simple et résiste à toutes les tentatives de falsification :
la relation entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre
Ousmane Sonko ne se décrète pas depuis une tribune. Elle évolue, se transforme,
se recompose selon les exigences du mandat et du temps politique, mais elle reste,
tant que l’État l’exige, encadrée par une responsabilité supérieure : la continuité de
l’action publique et le service du peuple sénégalais.
La loyauté républicaine n’est ni le silence imposé, ni la fusion artificielle, ni
l’effacement des différences. Elle réside dans la clarté des rôles, la cohérence de
l’action gouvernementale et la fidélité constante au peuple souverain, seul détenteur
ultime de la légitimité démocratique.
Le Président incarne.
Le Gouvernement agit.
Le peuple juge.
Tout le reste n’est que bruit politique.
Et l’Histoire, elle, est implacable avec ceux qui croient pouvoir troubler durablement
la scène publique par des cris empruntés et des tensions fabriquées.
Ils finissent toujours au même endroit : dans l’oubli politique, ce cimetière discret des
voix sans épaisseur et des ambitions sans fondement.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com
source/laquestion.info













Laisser une Réponse