[Reportage exclusif]  L’or de Kédougou : Un trésor empoisonné ! (1/3)

 

À Kédougou, l’effervescence de la ruée vers l’or s’est emparée de toute la ville, attirant foule et activités légales comme illégales. Mais, derrière l’éclat éblouissant du métal précieux qui fait courir autochtones et étrangers, se cache une bien sombre réalité faite de misère socio-économiques, de risques sanitaires, d’insécurités et de dévastation environnementale. Immersion inédite dans les « Diouras », le cœur battant de l’exploitation aurifère artisanal et à petite échelle.

 

 

Dans l’extrême sud-est du Sénégal, les collines et reliefs accidentés forment un paysage à couper le souffle. Kédougou (situé à 722 kilomètres de Dakar), le pays des Bassaris et des Bediks, est un lieu unique, où les montagnes majestueuses, les forêts denses et les cascades spectaculaires se succèdent pour former un paradis pour les amoureux de la nature. Issue du découpage de l’ancienne région de Tambacounda, elle est créée par la loi 2008-14 du 18 mars 2008 modifiant la loi 72-02 du 1er Février 1972 portant organisation de l’administration territoriale et locale.

La nouvelle région couvre une superficie de 16 896 Km² et est frontalière avec le Mali et la Guinée, séparés de ces deux pays par la barrière naturelle de la Falémé, l’affluent majeur du fleuve Sénégal prenant sa source dans le massif du Fouta-Djalon encore appelé le château d’eau de l’Afrique de l’ouest. Sa population majoritairement composée de Malinkés et de Peulh suivis des Bassaris et des Bédiks, est passée de 172 482 habitants en 2017 (Projections démographiques 2016, ANSD) à 245 288 habitants en 2023 (recensement 2023, ANSD), indiquant une très forte croissance démographique résultant en grande partie de son attrait économique soudain qui transcende les frontières.

Région la plus montagneuse du pays, son relief est le plus accidenté avec le mont Sambangallou au Sud culminant à 581 mètres, les collines du pays Bassari à l’ouest et le mont Assirik (327 mètres) qui domine le parc national de Niokolo-Koba. Des reliefs escarpés caractérisés par une succession de plateaux, de falaises et de dénivelés qui dissimulent dans leurs entrailles un trésor gigantesque : l’or. Ce n’est donc pas un hasard si les malinkés ont décidé de l’appeler « Kédougou » qui signifie dans leur langue : la terre fertile. Faisant ainsi allusion aussi bien à la richesse du sol et du sous-sol.

La découverte du métal précieux dans la région de Kédougou a transformé ce coin lointain et paisible du Sénégal en un véritable Far West, où la fièvre de la richesse a pris le pas sur toute autre considération. Les chercheurs d’or affluent de partout, attirés par la promesse de richesse facile, mais la réalité sur le terrain est souvent tout autre. Derrière cette folle ruée vers l’or, se cache un tableau sombre de misère, de prostitution régionale sur fond de trafic sexuel et de traite d’êtres humains, d’insécurité galopante, de risques sanitaires majeurs et de dévastation environnementale grandissante.

Nouvel Eldorado sénégalais, le rêve Kédovin qui se résume à « faire fortune à tout prix », prend forme au pied des montagnes, dans les « Diouras ». Ces sites d’orpaillage sont le cœur névralgique de l’exploitation aurifère artisanale et à petite échelle. Ici, ils se comptent par centaines voire par milliers, de Mako à Moussala en passant par Tombronkoto, Kharakhéna, Saraya, etc. Un peu plus de 87 sites seulement disposent de d’autorisations légales du ministère de l’énergie, du pétrole et des mines. Tout le reste opère au noir, dans la clandestinité la plus absolue.

La recherche effrénée des petites pépites brillantes est pourtant une tâche hardie et parfois périlleuse pour les « diouramen » (orpailleurs artisanaux), mais l’espoir de faire fortune aux tréfonds des « Damas » (les minuscules galeries creusées pour accéder aux gisements) agit comme un puissant stimulus psychoactif. Pour mieux cerner cette effervescence autour de l’or à Kédougou, plongée dans le quotidien des mineurs à Bantako.

Bantako, au cœur du dioura

Il est 10 heures à Kédougou, ce mardi 25 novembre 2025, et le soleil est presque à son zénith. L’équipe de Seneweb -qui a déployé les grands moyens pour une immersion palpitante- arpente la route qui mène au célèbre « dioura » de Bantako situé à l’entrée de la région à plus de 60 kilomètres de la ville, où nous attend Tamba, jeune frère du chef de village Moussa Keïta empêché. Situé au cœur de la forêt, une piste latéritique chaotique mène au village. Elle serpente la forêt sur 7 kilomètres. Au bout d’un dur périple aux allures d’une montagne russe avec ses parcours sinueux et ses pentes abruptes -sous la poussière-, le vaste village de Bantako se dresse enfin au pied de la montagne. Ici, les paillotes rustiques qui servent d’habitation contrastent avec les équipements modernes : station-service en pleine forêt, antenne Telecom, poste de santé moderne. Des détails frappants qui renseignent que ce hameau est différent des autres.

‎ « Bon arrivé à Bantako », lance notre guide, heureux de recevoir une équipe de journalistes. Un enthousiasme loin d’être contagieux au « dioura » de Bantako perché à l’extrême sud du village. Arrivé sur le site avec notre matériel de tournage, la réticence s’installe de prime abord. « Ils veulent nous filmer mais il faut refuser », glisse d’emblée le vieux Barry en Pulaar. Mais ce mur de glace finit par fondre grâce à la chaleur de nos échanges. En effet, après des salutations chaleureuses et quelques taquineries, la magie finit par opérer. Moins susceptible maintenant, le Vieux Barry donne le go : « mettez-vous sur votre trente-et-un, nous allons passer à la télé », lâche-t-il enfin suscitant des éclats de rires. Le contact est établi, les orpailleurs artisanaux (des étrangers pour la plupart) se lâchent.

Extraction et traitement de l’or, un processus complexe

Plusieurs nationalités se côtoient dans ce couloir d’orpaillage qui dispose d’une autorisation du ministère des mines : sénégalais, maliens, burkinabés, guinéens, nigérians, entre autres. Et chacun a un rôle bien déterminé dans la chaîne, de la prospection au lavage en passant par la sécurisation du Dama, l’excavation, le test vannage, etc. Un processus laborieux d’extraction et de séparation de l’or au cours duquel interviennent plusieurs métiers informels avec des appellations en langues locales Bambara ou Malinké, nous explique El Hadji Sangou Camara, « tombolman » (vigil chargé de veiller à la quiétude du dioura).

D’abord, confie-t-il, à l’étape de la prospection, un premier test de vannage est réalisé sur place sur un échantillon de sol tiré du puits pour en détecter la présence de traces d’or. Une fois que ce test révèle des indices de minerai aurifère, l’excavation du puits est alors réalisée par les « damatigui » (excavateurs de damas) à l’aide de pioches, des marteaux piqueurs et de pelles. Ces derniers, pour éviter de risquer leur vie à 15 ou 20 mètres sous terre, font appel aux « balandouna », les spécialistes en soutènement de galeries qui échafaudent une structure en bois permettant de stabiliser le puits afin d’éviter les éboulements qui sont aussi tragique que fréquent ici. D’ailleurs le dernier date du mois de juillet 2025 et « avait fait plusieurs morts », révèle Sangou Camara.

Les minéraux rocheux et terreux excavés, sont mis dans des sacs de 50 kilogrammes et remontés à la surface à l’aide d’une poulie manuelle ou électrique. Ils sont stockés aux abords du dama. Une trentaine de sacs sont extraits quotidiennement et partagés en quotas entre : le « datéguétigui » (propriétaire du damas), les « damatigui » (ceux qui extraient les minerais) et les investisseurs (poulie, carburant, eau, thé). Chacun rentre chez lui avec ses sacs, à la fin de la journée.

Vient après le processus de traitement pendant lequel tout le monde croise les doigts dans l’espoir de voir la chance lui sourire. « Certains se retrouvent avec 2 grammes, d’autres 4, 5 ou 10 grammes. Cela peut aller même jusqu’à un kilogramme », narre-t-il. Une belle moisson quotidienne si l’on sait que le gramme d’or tourne autour de 60 000 francs CFA à 75 000 francs CFA. Le kilogramme est un vrai jackpot ! Il s’échange sur le marché à 47 millions de francs CFA. Comble du paradoxe : la production artisanale à petite échelle passe au nez et à la barbe du Sénégal comme celle industrielle d’ailleurs. La plupart des Diouramen préfèrent vendre leur or aux maliens et burkinabés qui paient mieux.

Dans les diouras ou la sécurité est un vain mot, la fortune attire souvent la jalousie. Un diouraman qui fait fortune doit davantage protéger ses arrières. « Plusieurs diouraman qui ont réussi ont subi des attaques qui se terminent des fois à la tragédie. Ce sont les collègues diouramen eux-mêmes qui vendent la mèche à des brigands afin qu’ils te tendent un embuscade », nous souffle -t-on.

Utilisation de produits chimique et déforestation

La recherche du métal précieux semble s’accommoder à des pratiques graves aux conséquences désastreuses. Notamment lors du processus de traitement des minerais extraits des « damas ». Pour extraire la pépite d’or de son manteau de roches, les chercheurs d’or utilisent des produits toxiques dangereux comme le mercure et le cyanure. Vaporisés, ces produits polluent l’air, les sols, les nappes et les cours d’eau comme la Falémé qui en est infestée. Transportés par les vents, ils se déposent sur les sols, les végétaux, les plans d’eau et les aliments non protégés, avec des conséquences néfastes sur la santé des populations et de ceux qui les manipulent. Ces produits affectent gravement les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, ainsi que les poumons, les reins, la peau et les yeux.

Ces substances chimiques sont apportées dans les diouras par des trafiquants étrangers -des burkinabés pour la plupart- qui arrivent des fois à tromper la vigilance des forces de sécurités à la frontière. Ces dernières arrivent tout de même à en intercepter d’importantes quantités. Ce fut le cas le 06 février 2020. Les agents de la Subdivision des Douanes de Kédougou avaient intercepté une livraison de 135 kg de Cyanure destinés aux sites d’orpaillage à Saraya. Une saisie importante qui donne une idée sur l’ampleur du trafic et les conséquences dramatiques qu’il engendre dans les « diouras ».

Une tendance dangereuse que Kassa Keïta et son Gie Cocoba tentent d’inverser grâce à l’acquisition d’un concasseur-broyeur-séparateur, une alternative efficace à l’utilisation des produits toxiques pour amalgamer les fines particules d’or. « Notre machine permet de concasser et de séparer l’or et les minerais en seulement 40 minutes et avec des rendements meilleurs. Donc nous appelons l’État à nous aider davantage afin de mettre fin à l’utilisation du mercure et du cyanure », lance M. Keïta.

Des centaines de sites clandestins démantelés chaque année

D’autres pratiques illicites y ont également cours : l’exploitation illégale-clandestine de l’or. Elle est très répandue à Saraya et le long de la rive de la Falémé. Des orpailleurs étrangers des burkinabés notamment s’aventurent nuitamment dans la forêt et abattent des centaines d’arbres, polluent les sols pour extraire l’or. Ceci, foulant au pied le décret présidentiel du 31 juillet 2024 qui suspend jusqu’au 31 juillet 2027, « pour nécessité de préservation de l’environnement, de protection de la santé des populations et de sécurisation de la zone frontalière, toute opération minière ou délivrance de titre minier autour de la rive gauche du fleuve de la Falémé sur un rayon de 500 mètres ».

À Kharakhéna où l’autorisation d’exploitation est également suspendue, les « diouramen » continuent quand-même à élire domicile dans les « gnafas » (des abris de fortune installés dans les diouras) et exploitent clandestinement l’or les mardis, samedis et dimanches, quand les forces de défense et de sécurité -sur le qui-vive avec la menace Djihadiste à la frontière- détournent le regard. « Ils ont des indicateurs qui les informent lorsque la gendarmerie prévoit de faire une descente », confie une source policière.

Depuis plusieurs semaines, les éléments de la zone militaire numéro 4 et la légion de gendarmerie de Kédougou, soucieuses de contrecarrer toute velléité expansionniste du JNIM, multiplient les séries de démantèlement de sites d’orpaillage clandestin un potentiel terreau fertile pour le djihadisme. Ainsi, à Ségoto dans la zone de la Falémé, 3 sites d’orpaillage clandestin ont été démantelés le 3 décembre dernier, 15 motopompes et 5 groupes électrogène saisis dans le cadre des manœuvres Boundou de l’armée. Le 8 décembre, la gendarmerie démantèle un important site clandestin à Wassadou. Le 13 décembre dix individus ont été arrêtés dans un site clandestin à Sabodala avec 24 groupes électrogènes et 4 motopompes.

Auteur: seneweb