LE PRÉSIDENT BASSIROU DIOMAYE FAYE FACE AU MANDAT : L’ALERTE D’UNE RUPTURE QUI SE DISSOUT

Quand le flou s’installe au sommet de l’État, c’est la colonne vertébrale du mandat qui se fragilise. À mesure que s’éloigne la cohérence initiale entre le Président Diomaye Faye et son Premier ministre, les actes posés depuis le palais interrogent l’orthodoxie politique d’un régime né de la rupture. Cette chronique, sans céder à l’exagération ni à l’amalgame, alerte sur un glissement stratégique aux conséquences lourdes : celui qui consiste à banaliser la promesse, diluer la ligne, et désorienter le peuple. Car en République, la légitimité ne s’hérite pas, elle s’assume. Et la rupture, si elle n’est pas consolidée, se retourne toujours contre ceux qui l’ont trahie.

Le Sénégal traverse un moment politique singulier : celui où une promesse historique de rupture, portée par un élan populaire rarement observé dans notre histoire récente, semble s’éroder sous le poids des décisions du chef de l’État. Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas une tension ordinaire entre institutions. C’est le sort même d’un projet politique issu du suffrage universel qui se délite sous nos yeux.

Les signes sont désormais trop nombreux pour être ignorés. La relation, autrefois présentée comme une symbiose, entre le Président de la République et son Premier ministre, est devenue l’expression d’un désalignement stratégique profond. Ce désalignement n’est ni circonstanciel ni personnel : il est doctrinal. Il oppose deux approches du pouvoir, deux conceptions de la rupture, deux façons d’assumer un mandat confié dans des conditions exceptionnelles.

Au moment où le pays s’attend à une consolidation du déroulement du Projet, c’est l’inverse qui se produit. Une série de décisions présidentielles, prises sans cadrage politique clair, ont placé la coalition au pouvoir dans une dynamique qu’elle n’a jamais revendiquée : une ouverture incontrôlée, sans doctrine ni boussole, à des forces que le peuple avait pourtant sanctionnées. Cette recomposition brouille la lecture de l’action publique, fragilise la cohésion interne et altère la portée du renouveau.

La coalition « Diomaye Président », née dans un contexte d’espoir et de rigueur, se transforme progressivement en une plateforme à géométrie variable où se mêlent influences anciennes, ambitions recyclées, acteurs opportunistes et équilibres tactiques sans vision commune. Une massification politique présentée comme un signe d’inclusion devient, en réalité, un processus de dilution du mandat. Ceux qui avaient été nettement rejetés se retrouvent, par un paradoxe politique saisissant, utilisés pour consolider une majorité née précisément de leur disqualification.

Dans ce contexte, un rappel de principe n’est pas seulement légitime : il est indispensable. Le verdict des urnes ne saurait servir de passerelle à ceux que le peuple avait formellement congédiés. Ce rappel n’a rien d’une doléance : c’est une injonction démocratique, un principe cardinal sans lequel l’autorité issue du suffrage perd sa cohérence et son sens. Le chef de l’État ne peut ignorer que sa légitimité repose sur un acte fondateur : l’expression souveraine d’un peuple qui a choisi la rupture, précisément pour se libérer des pratiques et des figures d’hier. Revenir vers ces figures, les réhabiliter par le haut de la pyramide institutionnelle, revient à fragiliser la base même du contrat politique de mars 2024.

L’histoire contemporaine, de la Grèce au Brésil en passant par la Tunisie, enseigne une leçon implacable : lorsque la fidélité au mandat populaire est perçue comme une gêne ou une étape à dépasser, alors c’est la base même de l’autorité publique qui se fragilise. Tsípras, en Grèce, a subi un effondrement de son capital politique après avoir contredit le résultat du référendum de 2015, dans lequel le peuple avait rejeté les conditions d’austérité imposées par l’Union européenne, conditions qu’il a pourtant fini par accepter. En Tunisie, la réintégration des figures de l’ancien régime post-2011, au nom d’un consensus mou, a vidé de sa substance la dynamique révolutionnaire et brisé l’élan populaire. Au Brésil, Dilma Rousseff, en élargissant sa base au détriment de son socle militant, a été abandonnée par ses soutiens naturels et n’a pu résister à l’instabilité politique qui s’en est suivie. Tous ont payé le prix d’avoir sous-estimé la portée du “non” des urnes. Le pouvoir ne se reconstruit pas sur les cendres de la promesse trahie.

Aujourd’hui, ce schéma menace le Sénégal. Le glissement doctrinal est visible : marginalisation de la base Pastef dans la conduite de l’État ; recomposition avec des acteurs rejetés par les citoyens ; éloignement progressif du Président du socle militant et idéologique qui a porté sa candidature ; fragilisation de la cohésion avec le Premier ministre, pourtant pilier stratégique et moral du projet initial.

À cela s’ajoute un autre constat, tout aussi préoccupant : la lenteur surprenante de la reddition des comptes. La promesse d’assainissement, portée comme colonne vertébrale du renouveau, semble désormais contrainte par des équilibres politiques que personne n’assume. Les dossiers emblématiques stagnent. Les signaux se contredisent. L’exigence morale se dilue. Et l’opinion observe, perplexe, la distance entre la parole inaugurale et l’action réelle.

Tout cela conduit à une conclusion simple mais grave : le Président apparaît méconnaissable par rapport au mandat qu’il incarne. Cette transformation n’est pas un détail. Elle est un risque pour la stabilité politique du pays. Car un régime né d’une promesse forte ne peut survivre à la contradiction prolongée entre ce qu’il dit et ce qu’il fait.

Le Premier ministre, lui, continue d’assumer une fidélité à la ligne initiale, mais il se heurte désormais à un environnement politique reconfiguré, où la logique présidentielle contourne la doctrine de rupture au lieu de la consolider.

Pour éviter un affaissement progressif du renouveau, un rappel à l’ordre est nécessaire, dans la forme la plus institutionnelle et la plus républicaine possible :

– le Président doit se ressaisir ;

– il doit réaffirmer clairement le cap de la rupture ;

– il doit respecter la portée du vote qui l’a porté ;

– il doit éviter de transformer une victoire historique en simple alternance managée ;

– il doit cesser de rendre compatible l’incompatible : la rupture et le recyclage.

Le suffrage du 24 mars n’était pas un chèque en blanc. C’était un mandat conditionné, précis, structurant. Ce mandat n’est pas transférable. Il n’est pas négociable. Il n’est pas révisable par convenance tactique. Et si le chef de l’État persiste à s’en éloigner, il portera la responsabilité historique d’avoir offert au pays la plus brève des ruptures et le plus rapide des retours au passé.

Il ne s’agit pas d’un désaccord politique, mais d’un rappel de responsabilité. L’Histoire est sans indulgence pour les dirigeants qui renient l’engagement pris devant le peuple. Elle n’oublie jamais ceux qui ont troqué la fidélité pour la facilité, la cohérence pour la combinaison, l’espoir pour le confort. Le pouvoir ne se maintient pas en flattant les équilibres : il se mérite en tenant parole. Et lorsque le doute gagne, seule une cohérence assumée peut encore rallumer la confiance.

Hady TRAORE

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique-Canada

Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

hadytraore@hotmail.com