Le Sénégal doit-il éviter à tout prix la restructuration de sa dette : L’avis formel de Moubarack Lô (Economiste)

Le premier ministre Ousmane Sonko a annoncé, samedi, que dans leurs discussions avec le Fmi, il leur est proposé une restructuration de la dette du pays qui culmine aujourd’hui 132% du Pib. Une option pas du tout bien vue par le chef du gouvernement. Il craint que le pays ne soit considéré comme étant «en faillite» et qu’il pâtisse de cette mauvaise publicité. Mais, le Sénégal doit-il vraiment éviter la rationalisation de sa dette ? Ou doit-il plutôt accepter de la renégocier ? Ci-dessous les éclairages de l’économiste Moubarack Lô.

«Le gouvernement actuel a hérité d’une dette. Donc ce gouvernement est tout à fait à l’aise pour pouvoir dire « J’ai trois options ». La première option c’est de dire, « Je refuse de payer la dette parce qu’elle n’est pas régulière, qu’une bonne partie est une dette cachée » etc. Donc ça c’est une option que le gouvernement aurait pu prendre avec les risques associés à une telle attitude. Mais on n’a pas encore entendu le gouvernement évoquer cela. C’est la première possibilité : rejeter la dette en partie ou en totalité. Mais c’est clair que c’est impossible de rejeter en totalité.»

Les options qui s’offrent au gouvernement

La deuxième possibilité c’est de dire : « Je vais négocier pour que la charge de la dette soit amoindrie ». Soit il y a des annulations, donc une remise de la dette, ou bien une remise sur les intérêts de la dette, ou un étalement de la dette. Et la troisième possibilité c’est de dire : « Je ne renégocie pas ma dette, je vais la payer intégralement ». Apparemment c’est la voie qui semble être privilégiée. Et ceux qui ont engagé cette voie ont peut-être leur raison. Chacune de ces options à ses avantages et ses inconvénients. Seul l’avenir dira si l’option plébiscitée aujourd’hui par le premier ministre démontrera son efficacité. C’est une option, il faut la respecter.»

Accepter ou ne pas la restructuration de la dette

«Personnellement, si on m’avait demandé mon avis, comme tout autre sénégalais ou tout autre expert du domaine économique, j’aurais encouragé d’engager une restructuration de la dette. Surtout une dette que vous n’avez pas contractée, dont la charge est extrêmement élevée, alors que vous avez des ambitions pour accélérer la croissance, les investissements. Dans un cas pareil, à mon avis, la politique n’a plus de place, ni les questions de dignité ou de fierté nationale ou de souverainisme. Il faut sortir de l’impasse.»

«On n’est plus très endettés,

on est super endettés.»

«L’option la plus sage, si je peux utiliser ce terme, c’est d’aller vers une renégociation de la dette, pour l’étaler, pour l’annuler en partie, pour réduire les intérêts, pour racheter certaines dettes, pour utiliser toutes les procédures qui ont pu être utilisées dans le cadre des initiatives sur la dette (Banque mondiale, FMI). Le Sénégal en a bénéficié dans les années 2000. Ça avait permis de ramener la Dette de 46%, si ma mémoire est bonne, à 22% du PIB en trois ans. Alors qu’on parlait de pays pauvres très endettés avec 46% de taux d’endettement, aujourd’hui nous sommes à 132%. On n’est plus très endetté, on est super endettés.»

L’option réaliste pour éviter une voie risqué

«Donc aujourd’hui, personne ne peut comprendre qu’on ne puisse pas accepter de restructurer, de renégocier la dette. C’est l’option qui devrait être prioritairement plébiscitée par le gouvernement, parce que c’est l’option la plus réaliste pour ne pas s’engager dans une voie difficile. Parce qu’aujourd’hui, rien ne justifie qu’on puisse mobiliser chaque année 5000 voire 6 000 milliards pour payer une dette.»

Ramener la dette à des niveaux acceptables

«Donc à travers ces opérations dont je parle, l’objectif c’est de ramener le service de la dette à des niveaux acceptables qui ne constituent pas un obstacle à la réalisation des objectifs de relance, de diversification économique du gouvernement. Sinon vous ne pouvez pas vous fixer une ambition de tripler le Pib par tête à l’horizon 2050, d’atteindre des taux de croissant très élevés et en même temps maintenir un service de la tête supérieur à 30%.»

Combiner avec un programme d’ajustement

«Pour moi, la seule et unique voie qui s’offre aujourd’hui au Sénégal, c’est de renégocier sa dette, mais de l’accompagner par une action vigoureuse d’ajustement et de la rationalisation des dépenses, décidée par le gouvernement. Parce que comme le FMI l’a dit, c’est l’Etat souverain qui choisit sa politique économique. D’ailleurs, la lettre d’intention qui est adressée au Fmi, est signée par le ministre de finances qui, après avoir reçu les orientations du président et du premier ministre, engage le gouvernement sur les réformes à faire.»

« On ne sent pas ce momentum au niveau des réformes permettant d’accélérer la croissance économique »

«En dehors de ce travail de rationalisation des dépenses et de mobilisation des ressources, il faut bâtir une économie compétitive. Ça suppose des incitations, des investissements d’attrait, d’accompagnement et des réformes. On ne sent pas ce momentum au niveau des réformes permettant d’accélérer la croissance économique et il y a tout ce chantier qu’il faut ouvrir. Pour le faire, il faut retrouver la sérénité. Et la sérénité c’est la renégociation de la dette, c’est la restructuration, c’est les retrouvailles avec les FMI avec la communauté financière internationale.»

Un programme sans décaissement, à éviter

«Faire un programme avec le Fmi sans décaissement, ça n’a pas de sens. Le Sénégal doit mobiliser toutes les ressources possibles. Donc il faut prendre l’argent du Fmi. Le dernier programme c’était plus de 1000 milliards. Il faut le prendre et ajouter les économies qu’on peut faire avec la négociation de la dette et y ajouter les effets de tous les efforts que le gouvernement est en train de faire au niveau des dépenses et des recettes. Cela va permettre de mobiliser d’importantes ressources qu’on pourrait orienter vers la réalisation des grands chantiers de l’agenda de transformation Sénégal2050.»

Dégâts du retard d’un programme avec le Fmi

«Il faut également savoir que chaque jour qui passe sans programme avec le Fmi coûte au Sénégal. Et donc ça va détériorer davantage l’image du Sénégal auprès des investisseurs et que ces investisseurs peuvent ancrer leur perception du Sénégal à un niveau très bas. Il sera difficile de se relever de ce niveau avant longtemps et donc il est urgent aujourd’hui de prendre les mesures idoines de retrouver le chemin de la table de négociation avec les FMI pour arriver à un programme dans les plus brefs délais.»

Propos rassemblée par Youssouf SANE

Auteur: seneweb