Kalidou Thiaw : « Les défis budgétaires du Sénégal influencent les indicateurs régionaux de l’UEMOA »

À l’occasion de la session de formation des journalistes des États membres de l’UEMOA à Cotonou, du 15 au 19 septembre 2025, Kalidou Thiaw, Directeur de la Prévision et des Études Économiques au Département des Politiques Économiques et de la Fiscalité Intérieure de la Commission de l’UEMOA, s’est entretenu avec Seneweb. Il décrypte la dette cachée du Sénégal, les responsabilités des institutions régionales et internationales, l’impact régional des difficultés budgétaires, et évalue les orientations économiques du gouvernement sénégalais

Certaines critiques pointent les défaillances des institutions communautaires (BCEAO, UEMOA) et du FMI dans la gestion de la dette sénégalaise. Ces reproches vous semblent-ils fondés ? Quelles sont les responsabilités respectives de ces acteurs ?

Il faut d’abord rappeler que les rôles et les missions de la Commission de l’UEMOA et de la BCEAO sont définis dans le Traité modifié de l’UEMOA du 29 janvier 2003 et le Traité de l’UMOA du 20 janvier 2007. De manière générale, au sein de l’UEMOA, les politiques économiques de l’Union, considérées comme une question d’intérêt commun, sont soumises à la supervision du Conseil des ministres et régies par les dispositions du Traité de l’UMOA relatives au dispositif de surveillance multilatérale des politiques économiques de l’Union, mis en place par ledit Conseil et dont les modalités sont fixées dans ses articles 64 à 75. Ces articles définissent, entre autres, la nature des organes et les modalités de contrôle des données économiques et financières, sur une base essentiellement déclarative. Toutefois, dans le cadre de ce dispositif, les institutions régionales, notamment la Commission de l’UEMOA, procèdent régulièrement à la vérification de la cohérence des informations, en collaboration étroite avec les États membres.

“Les politiques économiques, en particulier budgétaires, sont nationales au sein de l’UEMOA, et que la Commission de l’UEMOA est chargée de veiller à leur coordination et à leur cohérence avec la politique monétaire commune”

Mais il importe de souligner que les politiques économiques, en particulier budgétaires, sont nationales au sein de l’UEMOA, et que la Commission de l’UEMOA est chargée de veiller à leur coordination et à leur cohérence avec la politique monétaire commune. Pour rappel, en vertu des dispositions du Traité de l’UEMOA, les Cours des comptes des États membres sont au cœur du dispositif de contrôle des données de finances publiques, notamment des Lois de finances et de Règlement, et des procédures ont été définies pour certifier la fiabilité des données économiques et financières. Néanmoins, cela n’exclut pas la possibilité d’anomalies, d’incohérences ou d’irrégularités, comme l’indiquent les résultats de l’audit du rapport sur la situation des finances publiques pour les gestions de 2019 au 31 mars 2024, récemment publié par la Cour des comptes du Sénégal.

Les défis budgétaires actuels du Sénégal influencent-ils la dynamique économique de la sous-région ouest-africaine ? Si oui, de quelle manière ?

Dans une Union économique et monétaire comme l’UEMOA, les défis budgétaires actuels du Sénégal ont, bien entendu, de manière mécanique, un effet sur les indicateurs budgétaires de la région, qui sont obtenus par l’agrégation des performances des États membres, et il en est de même pour ceux relatifs au solde budgétaire et au taux d’endettement. Par ailleurs, la dégradation des indicateurs budgétaires induit un renchérissement du coût des emprunts sur les marchés financiers en raison de la hausse du risque perçu et de la dégradation de la note du pays par les agences de notation, ce qui peut aussi constituer un frein pour la réalisation des investissements productifs.

“La mise en œuvre réussie des orientations récemment définies par les autorités sénégalaises à travers le Plan de redressement économique et social devrait aussi contribuer à normaliser progressivement la situation”

Mais, en l’état actuel des choses, l’amélioration progressive des indicateurs budgétaires notée à l’échelle de l’UEMOA, après les tensions induites par la guerre en Ukraine, n’est pas remise en question, et les projections des agrégats et indicateurs macroéconomiques et budgétaires actuellement disponibles suggèrent que cette tendance devrait se poursuivre à moyen terme. Dans le même temps, il faut aussi souligner que les bonnes performances de croissance, soutenues par la montée de l’exploitation des hydrocarbures, contribuent à alimenter la bonne dynamique économique de la région, et la mise en œuvre réussie des orientations récemment définies par les autorités sénégalaises à travers le Plan de redressement économique et social devrait aussi contribuer à normaliser progressivement la situation.

Comment évaluez-vous les mesures prises par le gouvernement pour réduire le déficit budgétaire et stimuler la relance économique ? Ces stratégies vous semblent-elles efficaces et adaptées ?

La mise en œuvre efficace des mesures annoncées par le gouvernement sénégalais dans les chantiers de financement du Plan de redressement économique et social (PRES), articulée autour de la réduction maîtrisée des dépenses publiques, de l’amélioration de la mobilisation des ressources domestiques et du financement endogène complémentaire à travers des opérations d’appel public à l’épargne ou encore le recours à la finance islamique, devrait normalement favoriser la consolidation budgétaire à moyen terme. L’objectif d’un déficit budgétaire d’au plus 3 % à l’horizon 2027 sera d’autant plus facile à atteindre que les performances de croissance seront élevées, mais selon les dernières informations officielles transmises par le Sénégal à la Commission de l’UEMOA, celles-ci sont, en moyenne, prévues à plus de 6 % (6,1 %), avec un pic de 8,0 % en 2025. Autrement dit, globalement, les mesures annoncées vont dans le bon sens, et leur mise en œuvre réussie devrait normalement permettre de stabiliser le taux d’endettement public sur le moyen terme. Cette croissance devrait certainement continuer de s’appuyer sur l’exploitation des hydrocarbures, mais aussi, dans un premier temps, sur la préservation des investissements productifs dans les autres secteurs de l’économie. À moyen terme, la réalisation efficace des investissements productifs annoncés dans la Vision 2050 permettrait sans doute d’accélérer le retour souhaité à la stabilité macroéconomique et budgétaire.

Le Sénégal s’appuie de plus en plus sur le marché régional de l’UEMOA pour lever des fonds. Pouvez-vous expliquer simplement le fonctionnement de ces opérations au grand public, ainsi que leurs principaux avantages et inconvénients ?

Tout d’abord, il faut rappeler que le financement sur le marché de l’UEMOA renvoie aux opérations menées par les États membres de l’UEMOA sur le marché des titres publics animé par UMOA-Titres. Le mot « marché » traduit la confrontation de l’offre de produits financiers (en l’occurrence des titres publics) par des émetteurs, exclusivement constitués des huit États membres de l’UEMOA, à des investisseurs, c’est-à-dire toute personne physique ou morale souhaitant acquérir des titres publics, aussi appelés titres souverains, quel que soit son profil. Cependant, toute soumission à une émission sur le marché des titres publics doit obligatoirement se faire par le biais des intermédiaires de marché que sont les banques ou les sociétés de gestion ou d’intermédiation (plus connues sous le terme de SGI). Ces intermédiaires jouent ainsi le rôle d’interface entre les États émetteurs et les investisseurs, qui sont, entre autres, les banques, les SGI, les compagnies d’assurance, les caisses de retraite, les sociétés de gestion, les entreprises, les coopératives, les particuliers et les investisseurs étrangers. Le marché des titres publics de l’UEMOA est ainsi le marché sur lequel les États membres comblent leurs besoins de financement à court ou long terme, grâce à l’émission de titres de créance, respectivement sous la forme de bons et d’obligations assimilables du Trésor. Il s’agit de titres de créance émis par les États, via leur Trésor Public, et qui se distinguent essentiellement par leurs maturités. Tandis que les bons du Trésor sont remboursables à court terme, sur une durée d’au plus deux ans, les obligations du Trésor le sont à moyen et long terme, c’est-à-dire à un horizon de plus de deux ans (3 ans et plus).

“En 2024, le volume des ressources levées par les États membres de l’UEMOA sur le marché régional des titres publics a atteint 8 127 milliards de FCFA, soit une hausse de 13 % par rapport à l’année 2023”

Depuis son lancement en septembre 2013, le volume des ressources mobilisées sur le marché des titres publics de l’UEMOA a connu une nette progression. En 2024, le volume des ressources levées par les États membres de l’UEMOA sur le marché régional des titres publics a atteint 8 127 milliards de FCFA, soit une hausse de 13 % par rapport à l’année 2023. Le marché régional des titres publics constitue donc un outil privilégié pour la satisfaction des besoins de financement des États membres de l’Union et, en particulier, pour le financement de leurs déficits budgétaires. Les principaux avantages qu’il offre sont son ouverture et son caractère régional, qui permettent aux États de mobiliser l’épargne de tous les investisseurs de la région. Les principaux inconvénients qu’il peut présenter sont la faible profondeur du marché secondaire, qui doit permettre aux agents économiques d’effectuer des transactions sur les titres qu’ils détiennent, et l’effet d’éviction qu’il peut exercer sur le financement des agents économiques privés du fait de l’attrait plus important des titres publics.

Auteur: Entretien réalisé par Adama Ndiaye
source/seneweb