Le bal des Premiers ministres : Matignon au rythme des motions

La démission de Sébastien Lecornu a fait l’effet d’un éclair dans les colonnes de l’actualité française, mais ce n’est qu’un symptôme. Depuis les élections législatives de juin 2024, la France connaît une instabilité gouvernementale sans précédent sous la Ve République, marquée par une succession rapide de Premiers ministres contraints à la démission. Chaque nouveau gouvernement se heurte à une Assemblée fragmentée sans majorité absolue, où tout blocage devient un art méthodique de paralysie.

Gabriel Attal, nommé en janvier 2024, a dirigé le gouvernement jusqu’aux législatives anticipées de juin, convoquées par Emmanuel Macron après une série de blocages à l’Assemblée. Le scrutin a produit une Assemblée fragmentée, dominée par trois blocs : gauche, extrême droite et centre affaibli. Le 16 juillet 2024, Attal a présenté sa démission après l’échec du camp présidentiel à obtenir une majorité, laissant derrière lui une gestion en affaires courantes, mais aucune capacité à impulser une vision durable.

Michel Barnier, ancien commissaire européen, a été appelé en septembre 2024 pour former une coalition de projet avec le soutien ponctuel de la droite et du centre. Mais dès l’automne, le projet de loi de finances a été rejeté, et une motion de censure déposée par une alliance temporaire entre la gauche et l’extrême droite a été adoptée le 13 décembre 2024, entraînant la chute du gouvernement Barnier selon l’article 49 alinéa 2 de la Constitution.

François Bayrou, figure centriste et proche du président, a pris la relève en décembre 2024, tentant de stabiliser l’exécutif par le dialogue avec les groupes parlementaires. Sans majorité formelle, il a sollicité en septembre 2025 un vote de confiance selon l’article 49 alinéa 1. Contre toute attente, ce vote a été rejeté, entraînant sa démission immédiate. C’est la première fois sous la Ve République qu’un Premier ministre est renversé par un vote de confiance négatif.

Enfin, Sébastien Lecornu, ministre des Armées devenu Premier ministre en septembre 2025, a tenté de former un gouvernement technique centré sur les réformes budgétaires et institutionnelles. Mais dès les premières semaines, il a été confronté à une fronde interne, des refus de vote sur des textes clés et à la menace d’une nouvelle motion de censure. Face à l’impossibilité de gouverner, il a présenté sa démission le 6 octobre 2025 après moins d’un mois en fonction.

Depuis Paris, le spectacle politique se déploie sous nos yeux avec une intensité que l’on ne perçoit pas à Dakar. La démocratie représentative, censée réguler le pouvoir, semble se transformer en instrument de blocage systématique. Ici, les débats parlementaires ne contrôlent pas seulement l’exécutif, mais l’étouffent. Chaque vote, chaque motion et chaque démission devient un symptôme d’un pays ingouvernable jusqu’en 2027.

Pour un lecteur sénégalais, le contraste est frappant. Là où Dakar avance, tâtonne, mais parvient à maintenir un équilibre relatif entre réformes et gouvernance, Paris semble prisonnier de ses institutions. Les réformes économiques, sociales et institutionnelles restent suspendues, tandis que la société civile et les marchés observent la lenteur des décisions et l’inertie des gouvernements.

La démission de Lecornu n’est donc pas l’histoire d’un homme, mais celle d’un système coincé entre ses règles et la réalité du terrain. L’impasse parlementaire actuelle pose une question de taille : la démocratie française protège-t-elle encore l’État ou l’étouffe-t-elle dans un étau de polarisation et de refus du compromis ?

Auteur: seneweb