Ethnie et médias : quand le fragile héritage du Sénégal vacille

Au Sénégal, le débat public est aujourd’hui traversé par des propos qui mettent en avant l’ethnie, comme si ce fil mince et sensible était devenu l’unique horizon de notre dialogue national. Certains, avides de reconnaissance ou de visibilité, s’y engouffrent sans scrupule, surfant sur la colère, l’incompréhension ou la peur. Et là où la responsabilité devrait primer, certains médias et chaînes YouTube, à la recherche du buzz – ou plutôt du bad buzz –, deviennent complices, amplifiant des discours dangereux au mépris de l’éthique. C’est pathétique, et tragiquement familier pour ceux qui connaissent l’histoire récente de notre continent.

Car nul besoin de rappeler l’épisode de Radio Mille Collines pour comprendre l’ampleur du risque. Les mots ont un poids. Les médias ont le pouvoir de construire, de maintenir ou de détruire des vies, des communautés et même des nations. Et quand ce pouvoir est utilisé sans conscience, le danger est réel et immédiat.

Aujourd’hui, notre pays traverse une période sombre. Le ciel est nuageux, et ces nuages semblent lourds de menaces. Les élites, celles qui devraient éclairer le chemin, semblent avoir tourné le dos à l’idéal fondateur du Sénégal : ce fameux « commun vouloir de vie commune » dont Léopold Sédar Senghor faisait la pierre angulaire. À leur place, la barbarie, l’incivisme et l’audace des moins instruits s’invitent dans l’espace public, comme si la nation s’était elle-même résolue à plonger dans le chaos. Comme l’écrivait le poète irlandais W. B. Yeats : « les meilleurs manquent de toute conviction, tandis que les pires sont pleins d’ardente intensité ». Une phrase qui, malgré les critiques que l’on peut adresser à Yeats, trouve ici un écho troublant.

Et dans ce contexte, il est difficile de désigner un seul coupable. Peut-être sommes-nous tous responsables, d’une manière ou d’une autre. Certains par ambition de conquête ou de conservation du pouvoir. D’autres par intérêt partisan. Et puis il y a ceux qui se taisent, silencieux témoins d’injustices ou de dérives, trahissant par leur inertie la morale et la conscience collective, à l’image de ce que dénonçait Martin Luther King.

Le Sénégal, longtemps admiré pour sa tolérance et son vivre-ensemble légendaires, voit peu à peu ce patrimoine fragile se consumer. Ce qui faisait notre charme aux yeux du monde – la coexistence pacifique, l’esprit d’ouverture, la capacité à transcender nos différences – est désormais menacé par des vents mauvais. Un souffle de folie, et tout pourrait basculer.

Il est urgent, aujourd’hui plus que jamais, que chaque citoyen, chaque acteur public ou privé, se ressaisisse. Que le dialogue reprenne ses lettres de noblesse, loin des calculs politiciens et des manipulations médiatiques. Que la raison et la morale guident nos mots et nos actes. Parce que ce qui se joue, au-delà des querelles et des ambitions, c’est l’âme même du Sénégal. Et cette âme mérite que nous la protégions, ensemble.

Auteur: seneweb