2025 n’a pas été l’année des proclamations, mais celle des arbitrages sous contrainte. À mesure que la rupture promise s’est confrontée à l’État réel, des choix ont été posés, des lignes déplacées, des tensions révélées. Cette chronique ne raconte pas l’année écoulée : elle interroge ce qu’elle a réellement tranché et ce que 2026 ne permettra plus d’éluder.
Écrire semaine après semaine impose une responsabilité particulière : celle de ne pas céder à l’instant, mais de chercher le fil. À mesure que l’année 2025 s’est déployée, ces chroniques n’ont pas eu vocation à commenter l’écume, mais à interroger la trajectoire. Revenir aujourd’hui sur ces mois d’analyse n’est ni un exercice de récapitulation ni un bilan d’autosatisfaction. C’est une mise en perspective. Une tentative de comprendre ce que cette année a réellement produit, déplacé et révélé.
2025 n’a pas été une année confortable pour le pouvoir. Elle a marqué l’entrée du Sénégal dans une zone de vérité où les promesses ont cessé de protéger ceux qui gouvernent. L’année qui s’achève aura été celle d’une re-fondation exécutive sous contrainte active, au cours de laquelle la rupture annoncée a dû se mesurer à la dureté de l’État réel : finances publiques sous tension, administration à réordonner, attentes sociales sans patience. Le centre de gravité de l’action publique a changé. La séquence écoulée n’a pas été celle de l’énonciation, mais celle de l’arbitrage sous contrainte, du renoncement assumé et de la hiérarchisation des priorités. De la première chronique de l’année à celle que vous avez entre les mains, un constat s’est imposé avec netteté : la crédibilité politique ne se joue plus dans l’intention proclamée, mais dans la capacité à structurer des décisions cohérentes, soutenables et capables de résister au temps. Ce déplacement, simultanément politique, économique, diplomatique et stratégique, constitue le véritable legs de 2025 et le seuil exigeant de 2026.
Ce fil, une fois tiré, conduit nécessairement au cœur du pouvoir. Après un an et dix-neuf mois d’exercice, le leadership exécutif n’est plus jugé sur sa capacité à incarner une alternative, mais sur sa faculté à organiser l’État dans la durée. La relation entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko est devenue, à cet égard, un fait politique structurant. Non parce qu’elle serait conflictuelle ou spectaculaire, mais parce qu’elle conditionne désormais la lisibilité de la chaîne de décision, la cohérence de l’action gouvernementale et la capacité de l’exécutif à arbitrer sous contrainte. Le critère d’évaluation n’est ni la proximité personnelle ni la symétrie politique, mais l’efficacité institutionnelle : qui décide, comment, à quel rythme, et avec quelles conséquences?
Ce déplacement a eu un effet immédiat sur le parti au pouvoir, PASTEF. Parti de rupture devenu parti d’État, il s’est trouvé confronté à une mutation rarement préparée : passer d’une culture de mobilisation à une culture de gouvernance, de la dénonciation à l’arbitrage, de la promesse à l’exécution. Cette tension n’a pas constitué une crise ouverte, mais une épreuve de maturité politique, rendue plus visible encore par l’absence d’une opposition structurée capable de porter une contradiction programmatique. Le débat s’est déplacé à l’intérieur même du pouvoir, exposant chaque hésitation, chaque inflexion, chaque silence.
Sur le terrain économique, l’année 2025 a consacré un changement de méthode plus qu’un catalogue de mesures. Le choix central n’a pas été l’expansion, mais la remise en ordre. La décision de mettre à nu la situation réelle des finances publiques, d’assumer les engagements accumulés et de replacer la contrainte budgétaire au cœur de la décision politique a constitué un acte fondateur. Ce choix a rompu avec une tradition de gouvernance par l’opacité, qui affaiblissait l’État autant vis-à-vis de ses citoyens que de ses partenaires. En rétablissant la vérité financière comme préalable, l’exécutif a accepté une exposition politique immédiate, mais a restauré une base minimale de crédibilité, sans laquelle aucune politique de transformation n’est soutenable.
Dans le prolongement, l’action publique a été progressivement réorganisée autour d’une logique de livrables. Les projets hérités n’ont été ni sanctuarisés ni rejetés par réflexe de rupture. Ils ont été évalués, séquencés, parfois ralentis, parfois redéployés, en fonction de leur faisabilité réelle, de leur impact économique et de leur soutenabilité financière. Cette revue critique a redéfini la relation entre le politique et l’administration : la responsabilité est redevenue un critère central, la performance un impératif, et le temps long de l’État un paramètre assumé. L’action publique s’est ainsi éloignée de la surenchère déclarative pour se recentrer sur l’exigence de résultats concrets.
Dans ce contexte contraint, un fait mérite d’être relevé avec rigueur. Malgré les hésitations, les injonctions parfois contradictoires et les marges étroites imposées par le Fonds monétaire international et certains partenaires multilatéraux, l’État sénégalais a jusqu’ici évité le scénario classique de l’asphyxie budgétaire. Le gouvernement est parvenu à maintenir le financement de projets structurants, à assurer la continuité de l’investissement public et, surtout, à engager des mesures concrètes de soulagement du pouvoir d’achat. La baisse des prix de certaines denrées de base, les ajustements à la baisse sur l’électricité et le carburant ne relèvent pas d’un artifice conjoncturel ; ils traduisent une orientation politique claire : faire porter l’essentiel de l’effort d’ajustement sur l’État plutôt que sur les ménages. Dans un environnement marqué par la contrainte financière externe, cette ligne constitue un acte de gouvernance sociale significatif, en rupture avec les logiques d’ajustement aveugle longtemps prescrites aux économies africaines.
Sur le plan diplomatique, 2025 aura également marqué un repositionnement silencieux mais lisible du Sénégal. Sans rupture de façade ni surenchère rhétorique, la voix sénégalaise s’est affirmée dans les espaces de négociation et de coopération, portée par une ligne de cohérence entre discours politique, stabilité institutionnelle et lisibilité économique. Cette posture a contribué à restaurer la confiance de partenaires stratégiques et à attirer de nouveaux investisseurs, moins sensibles aux annonces qu’à la prévisibilité des règles, à la crédibilité des engagements et à la solidité des institutions. Dans ce mouvement, la diaspora sénégalaise s’est imposée comme un acteur économique et diplomatique à part entière : relais d’influence, levier d’investissement, force de conviction au service de la réussite du PROJET.
À l’échelle africaine, cette dynamique s’est inscrite dans une inflexion plus profonde. Le Sénégal a cessé de subir les architectures géopolitiques héritées pour tenter d’y reprendre place avec discernement. Sans alignement automatique ni rupture tapageuse, la diplomatie sénégalaise s’est engagée dans une logique de souveraineté pragmatique, assumant la diversification de ses partenariats comme un instrument de marge de manœuvre stratégique. L’ouverture vers des partenaires non traditionnels, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine, ne relève ni d’un basculement idéologique ni d’un rejet des alliances historiques, mais d’une lecture lucide des recompositions du monde. Dans un contexte africain marqué par les fragilités sécuritaires, les crises institutionnelles et l’érosion de certains cadres multilatéraux, cette posture vise à préserver l’autonomie de décision de l’État, à sécuriser les investissements productifs et à inscrire la diplomatie sénégalaise dans une logique de résultats plutôt que de postures. La voix du Sénégal s’est faite plus audible précisément parce qu’elle s’est faite plus cohérente, arrimée au développement, à la stabilité interne et à la défense d’intérêts clairement identifiés.
C’est précisément à ce stade qu’une question plus profonde s’est imposée, que l’analyse économique seule ne pouvait contenir : celle de la fidélité au PROJET tel qu’il a été présenté au peuple. Un projet politique ne se juge pas uniquement à la rigueur de sa gestion ; il se mesure aussi à la cohérence entre ses actes et ses engagements fondateurs. Or, plusieurs signaux apparus au fil des mois appellent aujourd’hui une clarification qui ne peut plus être différée.
La question de la justice demeure, à cet égard, un point de tension majeur. Non par esprit de revanche, mais parce qu’elle constitue le socle moral du PROJET. La lenteur persistante sur la vérité attendue pour les martyrs, l’absence de gestes institutionnels forts de reconnaissance et la prudence extrême sur les responsabilités interrogent une partie de l’opinion la plus engagée. En matière de justice transitionnelle, l’inaction ou l’attente prolongée produisent elles aussi un effet politique : elles déplacent la promesse initiale vers une zone d’incertitude.
À cette interrogation s’ajoute l’architecture politique progressivement mise en place autour de la coalition Diomaye Président. L’élargissement n’est pas illégitime en soi. Mais la nature de cet élargissement, notamment l’intégration de figures issues de l’ancien régime, a déplacé le centre de gravité du PROJET vers une logique d’addition et de stabilisation. Ce déplacement n’a pas été explicitement assumé ni politiquement débattu. Or, ce n’est pas l’ouverture qui pose problème; c’est l’absence de clarification sur ses limites, ses conditions et son sens.
Plus préoccupant encore, l’ouverture de cet espace à des acteurs en délicatesse avec la justice pour des faits de gestion des deniers publics brouille la ligne éthique initialement tracée. Là encore, il ne s’agit pas de procès d’intention, mais de cohérence. Un projet politique peut s’éroder par glissements successifs, silencieux, non assumés, jusqu’à perdre sa lisibilité originelle. Ce que réclame aujourd’hui l’opinion la plus investie n’est ni la radicalité aveugle ni l’exclusion systématique, mais la vérité politique : dire ce qui change, pourquoi cela change, et jusqu’où cela peut aller sans altérer le sens du mandat reçu.
C’est dans ce contexte de tension doctrinale que doit être lue la récente inflexion territoriale opérée par le Président de la République. La tournée économique engagée en cette fin d’année, en commençant par la Casamance et Sédhiou, traduit une tentative de réancrage du PROJET dans sa dimension la plus concrète : celle du développement réel, territorialisé, mesurable. Longtemps abordée sous l’angle sécuritaire ou humanitaire, la Casamance est ici repositionnée comme espace agricole, logistique et transfrontalier stratégique, capable de contribuer à la croissance nationale et à l’intégration sous-régionale. Ce choix n’est pas technique ; il est politique et géostratégique.
Mais le développement territorial ne peut servir de substitut à la clarification politique. Il peut renforcer un projet ; il ne peut le réparer s’il est perçu comme s’éloignant de ses engagements fondateurs. La cohérence entre justice, éthique publique et transformation économique demeure la condition de la durabilité du PROJET. Sans elle, les politiques territoriales risquent d’apparaître comme des réponses techniques à une interrogation politique plus profonde.
Cette équation conduira naturellement aux échéances à venir. Les élections locales de 2027 ne constitueront pas une parenthèse électorale, mais un test de vérité. Elles diront si la transformation annoncée est capable de s’incarner dans les territoires, les collectivités et les institutions de proximité. Dans cette perspective, toute hypothèse de dissociation entre la coalition Diomaye Président et PASTEF relèverait moins de la stratégie que de la confusion. La séquence qui s’ouvre exige au contraire un alignement politique assumé, non pour verrouiller le débat, mais pour garantir la lisibilité de l’action publique.
Ainsi se referme 2025. Non comme une année achevée, mais comme une année qui a déplacé les lignes. Elle aura permis d’identifier les contraintes réelles, de tester une méthode de gouvernement et de mesurer l’écart entre l’ambition initiale et la complexité de l’exercice du pouvoir. L’année qui s’ouvre laissera peu d’espace à l’ambiguïté. 2026 sera celle des choix explicités, des alignements assumés et des responsabilités pleinement endossées.
Les intentions ne suffiront plus. 2026 jugera la capacité à tenir.
Je remercie celles et ceux qui ont accompagné cette réflexion tout au long de l’année par leur lecture attentive et leurs interpellations exigeantes.
À toutes et à tous, je souhaite une bonne et heureuse année, placée sous le signe de la lucidité, de l’exigence démocratique et de l’espérance lucide.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com















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