Un gouvernement resserré pour répondre à l’urgence des résultats

 

En resserrant son équipe, le Premier ministre Ousmane Sonko engage l’État dans une nouvelle ère où l’efficacité devient la règle et les résultats, l’unique juge.

 

Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko a connu, ce samedi 6 septembre 2025, un remaniement ministériel à la fois sobre dans sa forme et ambitieux dans sa finalité. Ce qui s’est joué n’est pas une simple recomposition, mais un recentrage silencieux, méthodique, et à haute valeur institutionnelle. Il s’agit d’un tournant stratégique dans l’ingénierie de l’action publique, révélateur d’une volonté de calibrer l’État pour la phase décisive d’exécution.

Le geste politique le plus fort se lit dans le traitement réservé à la Justice, désormais placée au sommet de l’agenda gouvernemental. En y nommant Yassine Fall, le pouvoir opère une verticalisation assumée de l’autorité judiciaire. Cette nomination ne se résume pas à un simple déplacement de portefeuille : elle réoriente l’énergie politique vers le cœur même de la légitimité républicaine. La justice n’est plus seulement un levier de régulation, elle devient une matrice de reconstruction morale de l’État, dans un contexte marqué par les attentes massives d’équité, de vérité et de clôture des dossiers emblématiques de l’ère précédente. La mission assignée est sans ambiguïté : restaurer la confiance dans l’institution judiciaire par l’exemplarité procédurale et la visibilité des décisions.

Le remplacement du général Jean-Baptiste Tine par Me Mouhamadou Bamba Cissé au ministère de l’Intérieur marque, lui, un basculement culturel. Le choix d’un avocat à la tête de ce département longtemps imprégné d’une logique sécuritaire est un virage : l’État entend gérer l’ordre public non plus par la dissuasion militaire, mais par la régulation civile. Ce retour du droit dans le traitement des libertés publiques est doublement stratégique : il apaise le climat social tout en désarmant les critiques récurrentes sur l’instrumentalisation des forces de sécurité. C’est aussi une manière pour le pouvoir de prouver que la rupture n’est pas un mot, mais une méthode.

Sur le plan diplomatique, le choix du diplomate Cheikh Niang aux Affaires étrangères témoigne d’un repositionnement subtil : la politique extérieure sénégalaise est confiée à une technocratie chevronnée, loin des surenchères idéologiques. Ce recentrage sur l’expertise vise à stabiliser la posture internationale du Sénégal tout en libérant l’espace politique domestique pour les urgences sociales. La diplomatie devient moins un outil de communication que d’influence patiente, structurée, et compatible avec les ambitions de souveraineté affirmées depuis mars 2024.

Le remaniement opère également une inflexion nette sur le terrain de la performance. L’entrée de Déthié Fall aux Infrastructures est un marqueur fort : l’heure est à la livraison. Sa nomination incarne la volonté de sortir du cycle des annonces et de s’arrimer à une logique de livrables. Elle coïncide avec une segmentation plus fine des Transports (aériens d’un côté, terrestres de l’autre), signe que l’exécutif cherche à clarifier les responsabilités, à améliorer le suivi opérationnel, et à mieux articuler ses instruments budgétaires. Ce mouvement s’inscrit dans une séquence politique plus large : celle de la transition entre la phase de redressement conceptuel (PRES) et l’exécution budgétaire 2026–2027.

Dans cette optique, la nomination d’une porte-parole du gouvernement en la personne de Marie Rose Khady Fatou Faye est hautement stratégique. Le gouvernement a compris que, dans l’arène publique contemporaine, expliquer vaut autant qu’agir. Donner une voix lisible, formalisée et professionnelle à l’action publique, c’est anticiper les controverses, structurer la pédagogie des réformes et stabiliser la relation entre le pouvoir et la société. C’est aussi, implicitement, tirer les leçons d’un début de quinquennat marqué par une communication trop fragmentée.

Ce remaniement révèle également un effort de maîtrise institutionnelle : le noyau macroéconomique reste inchangé. Abdourahmane Sarr (Économie), Cheikh Diba (Finances), Birame Souleye Diop (Énergie), Cheikh Tidiane Dièye (Hydraulique) poursuivent leurs chantiers. Cette continuité n’est pas conservatisme mais stratégie : elle permet d’ancrer les réformes dans la stabilité, de rassurer les partenaires techniques et financiers, et d’éviter toute inflexion budgétaire hasardeuse à l’approche du vote de la loi de finances 2026. On remanie ce qui ralentit, on maintient ce qui impulse. Le cap économique ne change pas. Le tempo, lui, s’accélère.

En filigrane, ce remaniement reconfigure aussi les équilibres politiques internes. L’entrée de Déthié Fall, ancien opposant devenu soutien, consacre une ouverture maîtrisée du cercle décisionnel. Le gouvernement n’élargit pas pour se diluer, mais pour densifier ses relais politiques. Cette capacité d’agrégation sans compromission idéologique est une rareté dans l’histoire politique sénégalaise récente. Elle mérite d’être relevée.

C’est là que réside le pari de ce remaniement : il fait le choix de la discipline sur la dispersion, de la compétence sur la cooptation, de l’opérationnel sur le symbolique. Mais à ce choix s’adosse un risque majeur : celui d’être désormais jugé à l’aune des résultats seuls. En réorganisant son équipe autour de pôles prioritaires, le Premier ministre se prive d’excuses. L’opinion n’acceptera plus les lenteurs ni les glissements de calendrier. Chaque promesse devient un contrat. Chaque ministre devient un porteur de livrables.

Le mérite de ce remaniement est donc de clarifier la ligne politique, d’objectiver la performance attendue, et d’unifier les dynamiques sectorielles autour d’un trépied : justice, sécurité, livraison. Mais il devra, pour réussir, éviter trois pièges : l’excès de centralisation à la Primature, l’enlisement technocratique des réformes, et la sous-capacité de coordination interministérielle. Car si les arbitrages sont clairs, leur mise en œuvre dépendra d’une orchestration exigeante, d’un suivi rigoureux, et d’une gouvernance qui conjugue rigueur budgétaire et légitimité politique.

Le remaniement auquel nous avons assisté ne vise pas à faire sensation. Il cherche à faire mieux. Et c’est peut-être là, dans cette sobriété efficace, que se loge sa vraie promesse de rupture.

Le succès de ce remaniement ne dépendra pas seulement des hommes et des femmes choisis, mais de la méthode qui accompagnera leurs actions. L’efficacité appelle à une gouvernance fondée sur la planification rigoureuse, la redevabilité et le suivi-évaluation permanent. Chaque ministère doit se penser désormais comme un centre de performance où les indicateurs de résultats priment sur les discours. La Primature, au cœur du dispositif, doit assurer un pilotage transversal où chaque délai, chaque livrable et chaque arbitrage sont monitorés en temps réel.

Le peuple sénégalais a porté cette alternance avec une espérance immense. Il a assumé les sacrifices, il a choisi la rupture, et désormais il exige des preuves. Justice pour les victimes de la répression, réduction des inégalités, maîtrise du coût de la vie, amélioration des services publics : la légitimité politique de ce gouvernement se mesurera à sa capacité à apporter des réponses concrètes. La patience populaire n’est pas infinie ; les résultats sont attendus ici et maintenant.

La réussite interne dépendra aussi de la capacité du gouvernement à inscrire son action dans un environnement géopolitique complexe. Entre la montée des BRICS, la recomposition de la CEDEAO, l’émergence de l’Alliance des États du Sahel et les tensions liées aux rapports de force mondiaux, le Sénégal doit tenir son rôle de pivot stratégique. Ce remaniement diplomatique, avec le choix d’un profil technocratique et chevronné, montre la volonté de renforcer la crédibilité et la cohérence de la voix sénégalaise sur la scène internationale.

Répondre à l’urgence des résultats ne peut reposer sur la seule responsabilité gouvernementale. La réussite de cette nouvelle phase dépendra également de la mobilisation de l’ensemble des acteurs : société civile, entreprises, collectivités locales, syndicats, diaspora. Le gouvernement doit faire du dialogue inclusif et de la transparence des leviers pour créer une dynamique collective, car la transformation du pays ne peut se décréter : elle doit se construire.

Mais désormais, l’heure des résultats a sonné. Le peuple sénégalais a tout donné pour ouvrir la voie au changement, et ses attentes sont immenses. Il ne demande plus des promesses, il exige des preuves. Les hommes et les femmes jugés les plus compétents, les plus aptes à produire des livrables tangibles, ont été placés aux postes décisionnels. À ce stade, l’équation est simple : réussir ou décevoir. L’histoire retiendra non pas les intentions, mais les actes. Chaque jour comptera, chaque décision pèsera, chaque livrable sera scruté. Le pays a fait sa part. Au gouvernement, désormais, de faire la sienne.

Hady TRAORE

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique-Canada

Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

hadytraore@hotmail.com