À l’heure où le Premier ministre s’apprête à dévoiler les contours du plan de redressement national, cette chronique propose, en toute lucidité, une lecture structurée des attentes, des leviers et des principes qui pourraient en assurer l’efficacité. L’heure n’est plus aux constats. Elle est à l’action méthodique, juste et crédible.
Les grandes décisions n’attendent pas les applaudissements pour se déployer. Elles se conçoivent dans le silence du travail bien fait, se forgent dans l’urgence d’un contexte exigeant, et s’imposent par la clarté de leur direction. Le 1er août 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko lance son plan de redressement national. Un moment politique décisif. Non parce qu’il contient des mesures, mais parce qu’il marquera la frontière entre les intentions et la mise à l’ouvrage. Une frontière entre le temps des promesses et celui des preuves.
Ce plan est attendu. Par les citoyens qui veulent voir, enfin, les ruptures annoncées se traduire dans leur quotidien. Par les élus locaux, les chefs d’entreprise, les jeunes en quête de travail, les mères de famille qui jonglent avec des prix instables, les fonctionnaires pris dans des systèmes désarticulés. Par l’opinion qui, au-delà du souffle d’espérance, demande aujourd’hui des actes concrets, visibles, suivis, assumés.
Le moment de bienveillance et d’observation initiale cède progressivement la place à une exigence de résultats. Le temps politique est devenu un temps compté. Le pouvoir doit, désormais, faire la preuve de sa capacité à gouverner avec efficacité. Cela suppose d’abord une hiérarchisation stratégique des priorités, fondée sur un diagnostic lucide et partagé : tout ne peut pas être réformé en même temps. Il faut nommer les urgences, désigner les gisements de transformation, tracer la ligne des arbitrages. C’est dans cette clarification que se fonde la force d’un plan.
Ce mandat, confié au Président de la République Bassirou Diomaye Faye, engage directement l’appareil gouvernemental. Car sous son impulsion, c’est à l’État qu’il revient de structurer la réparation, d’en orchestrer la traduction concrète, et d’en assumer les arbitrages difficiles. En quelques mois, les premiers signes d’un repositionnement stratégique du Sénégal se sont manifestés avec clarté. La Chine a exprimé sa volonté d’un partenariat d’État à État, fondé sur des bases nouvelles. L’Inde a entamé une redéfinition de son agenda bilatéral. L’Arabie Saoudite réactive ses lignes d’investissement. Les États-Unis, par l’intermédiaire de Donald Trump, marquent un intérêt politique affirmé. La Turquie, la France, les puissances africaines et les institutions multilatérales observent, s’ajustent, ou initient de nouveaux formats de dialogue.
Ce regain diplomatique est réel. Mais il crée une responsabilité nouvelle : celle de produire de la cohérence interne à la hauteur du respect externe retrouvé. Car un pays n’est pas jugé sur ses invitations, mais sur ses institutions. Pas sur ses symboles, mais sur sa capacité à délivrer, à stabiliser, à protéger. C’est dans cette logique que les mesures de redressement national prennent un sens historique. Elles ne peuvent se réduire à un exercice budgétaire. Ce ne sont pas des ajustements. Ce sont des signaux. Ce sont des fondations.
Le BTP, secteur vital de l’activité économique (représentant près de 15 % du PIB sénégalais en 2022 selon la Banque mondiale) et moteur de croissance régionale, doit être le premier terrain de relance. Ce secteur a connu un investissement public en hausse de 56 % entre 2023 et 2024 pour relancer des chantiers structurants, comme la construction de 2 700 km de routes via le programme FERA (774 millions d’euros) et la mise en service imminente du port de Ndayane (1,2 milliard USD) qui devrait générer l’équivalent de 3 % du PIB national et créer plus de 22 000 emplois directs. Régler la dette intérieure, relancer les filières de matériaux locaux, soutenir l’éco-construction : ces gestes constitueraient un levier rapide et tangible de relance. Le Sénégal a construit un savoir-faire reconnu dans ce domaine ; il faut à présent lui garantir des débouchés, une planification territoriale rigoureuse et une gouvernance sans favoritisme.
Ensuite vient la question de la méthode. Gouverner exige une orchestration rigoureuse des responsabilités, où chaque niveau de l’appareil exécutif est tenu à la fois par des objectifs précis et par une obligation de livrables. Il ne s’agit plus de proclamer, mais de structurer, de suivre et de livrer, avec rigueur et transparence. Chaque engagement du plan doit être incarné par une autorité politique, inscrit dans un calendrier contraignant, assorti d’indicateurs publics, suivi par une cellule dédiée, et régulièrement évalué. Il faut rompre définitivement avec les plans sans pilote, les projets sans cohérence, les budgets sans reddition de comptes. Le redressement exige une administration réorganisée, agile, resserrée, dont la mission n’est plus d’administrer l’inertie mais de délivrer les transformations. Cela implique aussi une restructuration profonde de l’appareil étatique : mutualisation des fonctions transversales, clarification des chaînes de valeur, contractualisation des objectifs. L’État doit réapprendre à produire de l’impact, pas seulement des procédures.
Mais un plan, même bien pensé, ne tient pas sans justice. La justice économique, la justice fiscale, la justice pénale, la justice dans l’effort. On ne peut pas appeler à la rigueur sans mettre fin aux rentes. On ne peut pas exiger de la patience aux plus modestes, si les dépenses de prestige persistent au sommet. Le plan de redressement devra poser un cap clair : aucun privilège ne survivra à l’exigence de l’intérêt général. Ce discours-là, s’il est tenu, portera loin. Et il faudra rappeler avec force que le redressement ne doit pas devenir synonyme d’austérité pour les couches sociales déjà durement éprouvées. Les sacrifices doivent être équitablement répartis et les soutiens ciblés sur les plus vulnérables.
Cette exigence de justice ne se limite pas aux arbitrages économiques. Elle suppose aussi une justice pénale crédible, impartiale, accessible. Car la cohésion nationale, la paix sociale et la confiance dans l’État se jouent aussi dans les tribunaux, les commissariats et les procédures. Le plan devra envoyer un signal clair : il n’y aura plus de zones d’impunité, plus d’abris dorés pour les puissants, plus de lenteurs acceptées comme norme. Sans justice pénale fonctionnelle, aucune autorité ne sera durable.
Le redressement passera aussi par l’ancrage territorial. Il faudra impérativement associer les collectivités locales à son exécution, non comme relais passifs, mais comme co-acteurs. Les pôles économiques doivent bénéficier de leviers budgétaires, de moyens humains, et d’indicateurs différenciés. C’est à cette échelle que les inégalités se vivent, que les frustrations se cristallisent, mais aussi que les solutions naissent. Une recentralisation masquée serait une erreur stratégique. Le redressement sera territorial ou restera inachevé.
Il faudra également composer avec une tension structurelle : répondre à l’urgence, sans compromettre la cohérence de long terme. Le gouvernement devra donc agir sur deux temps : celui de la réponse immédiate – sociale, budgétaire, sectorielle – et celui de la transformation institutionnelle. L’un sans l’autre expose à l’essoufflement ou à la déconnexion. C’est ce double tempo, combinant efficacité opérationnelle et ambition systémique, qui doit devenir la grammaire du redressement.
Ce plan n’aura de crédibilité que s’il est porté par une autorité exemplaire. Il n’y aura pas de redressement durable sans exemplarité au sommet de l’État. Le comportement des dirigeants, la sobriété des choix publics, la transparence des nominations, tout cela comptera. Le moindre écart entre la ligne affichée et les pratiques observées affaiblira la crédibilité de l’ensemble. L’exemplarité n’est pas une posture morale : c’est une condition d’efficacité politique.
Les réformes ne réussiront que si elles sont accompagnées, expliquées, assumées, partagées. Car elles ne sont pas que techniques. Elles sont politiques. Elles touchent des intérêts, bousculent des habitudes, gênent des réseaux. Il faudra un cap, une voix, un pacte. Et une manière de gouverner à la fois ferme et accessible, stratégique et pédagogique. Le discours ne suffit plus : il faut rendre compréhensible le sens de chaque transformation, sa nécessité, son bénéfice collectif.
Et il faudra inclure et mobiliser les forces vives du pays : la jeunesse, les femmes, les chercheurs, les syndicats, les entrepreneurs, la diaspora. Ce redressement ne pourra réussir s’il reste un processus centralisé, abstrait, vertical. Il doit être coproduit, enrichi, nourri par la société elle-même. L’État donne l’impulsion ; mais c’est tout un peuple qui doit se remettre en mouvement. C’est dans cette co-construction que réside l’avenir du pacte républicain.
Le Premier ministre aura ce lundi la primeur de la parole. Il aura aussi, désormais, le poids du temps. Chaque semaine, chaque retard, chaque flottement, chaque dissonance entre les discours et les faits sera interprétée comme une faiblesse. Il lui appartient d’imprimer la cadence, de clarifier la destination, et de rappeler qu’un mandat ne se remplit pas de bonnes intentions, mais de transformations mesurables.
Le redressement commence aujourd’hui. Depuis le 24 mars 2024, le Sénégal n’est plus seulement observé : il est attendu. Car cette transition politique, unique dans sa portée démocratique, appelle à une transformation systémique de l’action publique, à la hauteur du mandat populaire exprimé. Il ne s’ouvre pas dans un désert d’attente, mais dans un contexte chargé d’histoire, de frustrations accumulées et de promesses longtemps différées. Car depuis les indépendances, jamais un pouvoir n’a été élu avec une attente aussi structurée de rupture. Et le peuple, lui, n’attend plus. Il observe, évalue, exige et espère encore. Ce moment d’annonce n’est pas un simple exercice de communication gouvernementale. Il cristallise un point de bascule : entre l’imaginaire de la rupture et son incarnation tangible. Entre le poids de l’héritage et l’architecture d’un avenir commun. Le pays a franchi une étape démocratique majeure ; il attend, désormais, la refondation concrète de son contrat social. L’histoire est en marche, mais elle n’aura de sens que si elle s’incarne dans le réel, au bénéfice de ceux qui en furent les acteurs silencieux : les citoyens. À ceux-là, il faudra rendre des comptes par l’action, par les résultats, et par la tenue d’une promesse de justice et de dignité longtemps formulée.
Car dans une démocratie vivante, le verdict du peuple ne s’arrête pas à l’urne : il se prolonge dans l’exigence de résultats. Le plan de redressement national, s’il est structuré, équilibré et porté avec cohérence, peut-être plus qu’une réponse aux difficultés du moment : il peut devenir le socle d’un nouvel horizon collectif.
C’est ici que tout commence. Ce plan de redressement ne sera pas seulement jugé à la hauteur de ses promesses, mais à la capacité de l’État à tenir son serment : celui d’agir pour tous, de réparer ce qui fut brisé, de construire ce qui fut nié. Le peuple n’attend plus des discours : il attend qu’on gouverne et donc qu’on livre.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com
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