Accélération des projets en cours : passer à une logique de livrables

 

L’efficacité n’est plus un vœu pieux, c’est une ligne de front. Ce n’est plus un principe affiché dans les discours, mais un engagement à tenir dans les faits. Chaque projet qui piétine expose les limites d’un système encore prisonnier de ses lourdeurs. Chaque promesse non livrée n’est pas un simple échec technique : c’est une fissure dans le contrat républicain. En fixant des échéances, en imposant des feuilles de route claires et en plaçant la redevabilité au cœur de l’action publique, le Premier ministre Ousmane Sonko inaugure une méthode nouvelle. Une méthode qui engage l’État non plus à promettre, mais à prouver. Cette chronique explore les conditions de succès de ce basculement méthodologique : les leviers à activer, les erreurs à éviter, les outils à consolider. Elle en propose une lecture lucide, exigeante, sans complaisance, avec la conviction que dans un pays où l’attente est immense, livrer, aujourd’hui, n’est pas un choix : c’est la seule façon de gouverner.

Le Sénégal est entré dans une phase décisive, où seule la transformation compte. Plus qu’un changement de discours, c’est une nouvelle logique de l’action publique qui s’impose : celle du résultat, du concret, du mesurable. Les attentes sont claires, les impatiences réelles, et la lucidité indispensable. On ne gouverne plus pour faire espérer, mais pour délivrer.

En donnant des instructions précises aux membres du gouvernement, le Premier ministre installe une nouvelle éthique de l’action publique. Il fixe des délais, impose des responsabilités, appelle à une rigueur soutenue dans l’exécution. Ce n’est pas une simple volonté d’accélération ; c’est une réorientation fondamentale. L’efficacité devient un impératif, non un supplément d’âme. Elle devient la boussole, le référentiel, le critère.

Cette exigence ne peut produire ses effets que si elle s’appuie sur une capacité d’exécution rigoureusement organisée. Livrer suppose un dispositif de pilotage cohérent, une chaîne décisionnelle réactive, une culture du résultat ancrée dans toutes les strates administratives. Ce n’est pas l’intensité de la volonté politique qui fait bouger l’appareil d’État : c’est la qualité de son outillage opérationnel.

C’est dans cet esprit que le Bureau opérationnel de coordination et de suivi des projets et programmes, logé à la Primature, est appelé à jouer un rôle stratégique central. Il ne peut être un simple guichet dans l’architecture administrative. Il doit incarner la traction de l’action publique : fluidifier les processus, coordonner les acteurs, documenter les blocages et piloter un suivi rapproché, orienté vers les résultats. Il ne saurait se limiter à compiler des rapports. Il doit alimenter la décision en temps réel, éclairer les arbitrages, et mobiliser les moyens pour lever les freins. À ce niveau se joue la crédibilité de l’État à livrer dans les délais.

Le changement auquel appelle le Premier ministre suppose une recomposition complète de notre rapport à l’action publique. Il faut rompre avec une tradition de l’activité pour l’activité, où l’on pense avoir accompli quelque chose parce qu’un atelier s’est tenu ou qu’un rapport a été rédigé. L’unité de mesure, désormais, c’est ce qui est effectivement livré. Ce qui fonctionne. Ce qui transforme. Ce qui reste.

C’est aussi une nouvelle temporalité qu’il faut imposer. Gouverner, ce n’est pas planifier pour l’éternité, c’est livrer dans le temps du mandat. Ce n’est pas attendre la fin du quinquennat pour faire le point. C’est démontrer, chaque trimestre, chaque mois, chaque semaine, que les promesses se traduisent en réalités. À cet égard, la publication régulière d’un tableau de bord public serait un geste fort. Il ne s’agit pas de faire de la communication, mais d’installer une logique de preuve. Montrer ce qui avance, expliquer ce qui coince, exposer les arbitrages rendus.

Car il faut le dire avec clarté : un projet retardé, c’est une confiance trahie. Une école annoncée et non construite, c’est une rentrée manquée pour des centaines d’enfants. Un hôpital promis et non livré, c’est une perte sèche de crédibilité. Chaque manquement administratif se paie, non en bureaucratie, mais en désillusion populaire. Et chaque décalage entre les paroles et les faits affaiblit l’autorité de l’État. L’inefficacité n’est pas seulement une faute technique : elle est une défaite politique.

Cette logique de livrables ne sera pas tenable si l’on ne reconfigure pas en profondeur les responsabilités. Chaque ministre doit être redevable. Chaque directeur général, jugé sur ses résultats. Chaque mission doit avoir une durée, un périmètre clair, un budget maîtrisé, des indicateurs de sortie. L’État ne peut plus se permettre de laisser prospérer des zones grises de responsabilité. Il faut que chaque programme ait un propriétaire, chaque projet un maître d’ouvrage, chaque échéance un gardien. Mais aucune architecture ne tiendra si elle repose sur des improvisations ou des nominations de convenance. La seule condition pour que l’État livre réellement, c’est de s’entourer de compétences capables de transformer les directives en résultats. Pas de loyautés passives, mais des profils aguerris, opérationnels, responsables. Car dans cette nouvelle logique de l’action publique, ce ne sont pas les intentions qui gouvernent, mais les aptitudes à exécuter. Ce n’est plus le prestige des fonctions qui importe, mais la capacité à faire avancer les dossiers, à produire du concret, à tenir les délais.

Dans cet effort, la hiérarchisation est primordiale. Tous les projets n’ont pas le même effet levier. Il faut cibler les interventions les plus stratégiques : celles qui touchent à l’éducation, à la santé, à l’accès à l’eau, à la justice, aux infrastructures vitales. Il faut mettre l’énergie publique là où elle soulage, là où elle libère des potentiels, là où elle restaure la dignité.

La tâche n’est pas seulement administrative. Elle est aussi politique. Car l’inertie est une force puissante. Elle a ses routines, ses relais, ses résistances. Elle ne se dissipe pas d’un coup de décret. Il faut donc une fermeté continue, une vigilance lucide, un courage méthodique. Le Président et le Premier ministre doivent incarner cette tension constante vers l’efficacité. Non en multipliant les discours, mais en consolidant une culture. Celle de l’État qui tient sa parole. Celle d’une République qui livre.

Le temps politique est derrière nous. Il a produit son verdict, exprimé dans les urnes et scellé dans la légitimité institutionnelle. Ce qui s’ouvre désormais, c’est le temps de l’action. Ce n’est plus le moment des querelles partisanes, des procès d’intention ni des spéculations de circonstance. La population n’en a ni l’envie ni le luxe. Elle attend de voir, de toucher, de constater. Dans ce contexte, les deux têtes de l’exécutif ont un devoir conjoint : incarner l’unité d’orientation, la clarté de la méthode et la cohérence des décisions. Elles doivent maintenir la pression réformatrice tout en assurant la stabilité du cap. Il ne s’agit plus de convaincre, mais de prouver. Le pays n’est plus suspendu à ce que les responsables politiques disent ; il est en attente de ce qu’ils livrent. C’est à ce niveau que se jouera le renouvellement du lien entre la République et ses citoyens : non dans les slogans, mais dans la tenue des promesses.

Car cette démarche, à la fois claire dans sa structure, exigeante dans son rythme, et cohérente dans son cadrage, constitue bien plus qu’une méthode : elle est un signal politique. Le succès qui en résulterait ne servirait pas seulement à faire avancer les projets. Il aurait une portée symbolique majeure. Il renforcerait la confiance populaire dans la capacité des nouvelles autorités à tenir le cap des ruptures annoncées. Il prouverait qu’un État peut changer de posture, passer de la rhétorique à l’exécution, de la planification à la délivrance. Cette efficacité, visible et assumée, redonnerait aux citoyens le sentiment qu’un autre rapport à la puissance publique est possible : un rapport fondé sur la rigueur, le respect des délais, la responsabilité partagée. Et c’est dans l’entente — non la complaisance, mais la convergence des finalités — que les visions collectives prennent forme et s’enracinent durablement.

Livrer, aujourd’hui, c’est gouverner. C’est refonder le lien entre la puissance publique et ceux à qui elle doit rendre des comptes. C’est faire exister l’État non comme une abstraction, mais comme une force agissante. C’est montrer que le changement est possible, parce qu’il est visible. Et c’est surtout honorer un mandat reçu non comme un chèque en blanc, mais comme un contrat à exécuter. Ce pouvoir a été porté par un espoir inédit. Il ne peut s’autoriser ni lenteur, ni décalage, ni flou. Le peuple sénégalais a consenti un crédit de confiance. Il n’attend pas qu’on lui rende des comptes à la fin du mandat. Il veut voir, mois après mois, si la République tient sa promesse.

Cette confiance ne se réclame pas. Elle se mérite, et désormais elle se livre.

Hady TRAORE

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique-Canada

Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

hadytraore@hotmail.com