Il est vrai que l’on attendait avec impatience que le nouveau régime accélérât son agenda diplomatique. Sans doute étaient-ils pris par les urgences internes mais aussi la nécessite somme toute normale d’apprendre à se mouvoir dans un terrain qui ne leur était pas le plus familier. Il s’y ajoute le temps nécessaire de l’analyse et de la prise de possession des dossiers, si l’on connait la complexité du champ de la diplomatie, à laquelle s’ajoute un contexte international fait d’incertitudes.
Nous appelions d’ailleurs, dans des publications précédentes, à sortir du cadre sous régional pour aller à l’assaut d’un monde qui attendait le Sénégal, aussi bien par curiosité, au vu de sa trajectoire politique récente, que par intérêt pour ce que Dakar peut représenter dans ce nouveau monde qui, lentement et difficilement, émerge de la structure craquelée de l’ordre international d’après-1945.
C’est que le Sénégal a la faculté de jouer sur les deux principaux tableaux qui constituent la toile de fond sur laquelle se déploie le jeu international qui, de plus en plus, s’annonce. Il se structure autour de deux idées qui définissent la façon dont on approche le continent, au-delà, bien sûr, de la sempiternelle fonction de pourvoyeuse de matières premières qui semble lui être assignée presque irrémédiablement.
D’une part la multipolarité, dont le moteur n’est qu’une volonté de souveraineté. Celle-ci, au plan global, s’exprime chez les puissances émergentes à travers le désir d’un ordre international qui n’est plus basé sur les valeurs de l’Occident ou les intérêts du Nord. Au plan africain, la volonté de souveraineté qui vient nourrir l’idée de la multipolarité s’exprime à travers un continent qui veut asseoir des relations moins asymétriques avec le reste du monde et qui veut se défaire des liens paternalistes voulant le maintenir éternellement en enfance. Cette idée, Sonko n’en est pas juste un porte-étendard, mais un symbole vivant. Le discours de Xi Jinping y a d’ailleurs fait référence dans une subtilité bien chinoise.
D’autre part, il y a l’idée de la démocratie défendue par l’Occident, non pas qu’il y croit ou en fait la boussole de son action internationale, mais parce que c’est un facteur de différentiation qu’il aime bien soulever, surtout lorsque les fondements idéologiques de sa puissance sont contestés voire remis en question. Le Sénégal constitue, dès lors, pour eux, un exemple dont la fonction symbolique de vitrine s’accommode mal de le voir dériver vers le « côté obscur » du système international.
Mais d’un coté comme de l’autre, l’ilot de stabilité que le Sénégal représente en fait un hub, une porte, sinon une base arrière d’où l’on peut sûrement opérer, en prévision du destin d’émergence et du statut de dernière frontière de la vague du développement économique que l’Afrique représente.
Dans un pareil contexte, le Sénégal semble se situer à la croisée des chemins, et pour preuve constitue l’un des rares pays au monde qui pouvait se targuer, au cours de l’été dernier, d’avoir reçu les numéros deux de la diplomatie américaine, chinoise et russe, à presque quelques jours/semaines d’intervalle.
Notre pays a donc la capacité et le devoir de jouer sur tous les tableaux où se dessinent les contours du nouveau monde qui émerge. A l’ère de l’omnilateralisme, produit d’une réalité internationale ou tout le monde compte ou veut compter, et ou s’enchevêtrent différents paliers de gouvernance, différents blocs régionaux et géopolitiques, le tout dans une effusion de bilatéralisme, il est important d’être, sinon partout, en tout cas dans un maximum de lieux.
Dans le contexte de transition de puissance que le monde traverse, où l’Afrique peut compter énormément dans la nouvelle arithmétique de la distribution du pouvoir, pouvoir jouer sur tous les tableaux reste un atout majeur qui détermine l’importance de beaucoup de nouveaux acteurs appelés des « bridge power » (puissances-pont). L’un des effets immédiats de cette stratégie est l’importance relative que l’on gagne dans un camp ou dans l’autre. A ce titre, un article de 2017 publié par des chercheurs de Harvard et Heindelberg University nous apprenait que que pour chaque point de pourcentage d’augmentation de l’aide chinoise pour les pays africains, la Banque mondiale pose 15% moins de conditionalité dans ses prêts.
La division du travail que nous soulevions il y a quelques mois entre le PR et le PM, qui constitue une sorte de prolongement du slogan de campagne « Diomaye mooy Sonko » dans la sphère diplomatique est encore plus que pertinente.
Renforcée par la double portance de « l’effet Diomaye » comme PR d’un modèle de démocratie et de stabilité et de « l’effet Sonko » comme figure de proue du souverainisme et de la nouvelle Afrique qui se dessine, la diplomatie sénégalaise, tel un puissant bimoteur, déploiera ses ailes dans un rayon d’action qui n’a d’égal que l’exceptionnel statut d’un pays qui a tant à donner.
A mesure que se maîtrise le feu interne né de la stratégie de la terre brulée du président sortant, il faudra actionner ce bimoteur dans une parfaite coordination, et presque pourrait-on dire dans une ubiquité diplomatique, qui fera du rayon d’action de la politique étrangère du Sénégal un espace où, pour reprendre la reine Victoria, le soleil ne se couche jamais.
Alioune Ndiaye
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