Sous les projecteurs, la LONASE. En toile de fond, une gouvernance publique fragilisée par des pratiques contractuelles opaques, des organes de contrôle symboliques et une redevabilité érodée. Ce n’est pas un cas isolé, mais le révélateur d’un système vulnérable. Du scandale passé de l’ONAS aux interrogations plus récentes sur l’ASER, le constat est sans appel : l’État doit se réarmer moralement et institutionnellement. Cette chronique explore, décode et relie ces signes faibles à l’ambition forte du Premier ministre d’ériger enfin la compétence, la transparence et le contrôle stratégique en piliers indiscutables de l’action publique.
La récente controverse autour de la LONASE, alimentée par des révélations relayées dans la presse, ravive un débat fondamental sur l’intégrité de la gouvernance publique au Sénégal. Selon les informations rapportées, le Directeur général de cette institution aurait conclu des accords avec des entreprises étrangères telles que Paymetrust et SFMC, en dehors des procédures classiques de mise en concurrence. En réponse, la LONASE affirme que ces conventions, de nature spécifique, échappent aux dispositions du Code des marchés publics. Mais au-delà de la légalité formelle, c’est la perception de transparence qui est en jeu. Et celle-ci, dans un contexte de rupture revendiquée, ne saurait souffrir la moindre approximation.
Ce cas, à lui seul, ne suffirait pas à tirer des conclusions définitives. Il appelle cependant à interroger le fonctionnement général des structures publiques, notamment leur rapport à la redevabilité et à la gestion contractuelle. L’histoire récente a montré que les dysfonctionnements au sein de ces entités ne relèvent ni de l’exception, ni de l’accident. Ils participent d’une tendance lourde où l’absence de contrôle, l’opacité des procédures et la faiblesse des mécanismes de surveillance alimentent les pratiques discutables.
Un précédent révélateur illustre bien cette dérive : celui de l’Office National de l’Assainissement du Sénégal (ONAS). En 2025, l’institution s’est retrouvée au cœur d’une vive controverse liée à des marchés de curage attribués à des entreprises comme Vicas ou Delta, dans des conditions considérées comme opaques et dérogeant aux principes d’appel d’offres. Des interrogations ont alors émergé sur le rôle du ministère de tutelle et les garanties institutionnelles de transparence. En réponse, l’ARCOP a bloqué un marché complémentaire de plus de 11 milliards FCFA, et le Directeur général a été limogé. Ce cas a mis en lumière une série de dysfonctionnements majeurs dans la passation des marchés publics.
Dans la même veine, des débats récents ont émergé autour d’un marché attribué par l’Agence Sénégalaise d’Électrification Rurale (ASER), soulevant certaines interrogations dans l’opinion publique. Sans qu’aucune irrégularité n’ait été formellement établie à ce jour, les discussions ont porté sur les conditions de dérogation et la nature des garanties apportées dans le cadre de l’attribution du marché. Ce climat d’incertitude, dans la lignée des exemples précédents, rappelle combien la transparence dans les procédures reste un enjeu central de gouvernance. Un autre exemple, plus récent encore, vient illustrer avec acuité les dérives d’une gouvernance publique parfois déconnectée de ses mandats fondamentaux. À la veille de la Tabaski, la Délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide (DER) a défrayé la chronique en engageant une opération de financement à la consommation, consistant à mettre des moutons à la disposition de ménages vulnérables. Si l’intention affichée peut sembler socialement bienveillante, elle interpelle fortement sur le respect de la vocation première de cette structure, censée promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Ce glissement programmatique, symptomatique d’un déficit de pilotage stratégique, brouille les repères et soulève des interrogations de fond : une structure publique peut-elle s’émanciper impunément de sa mission ? Peut-elle instrumentaliser les émotions collectives pour se donner une légitimité d’action ? En agissant ainsi, la DER n’a pas seulement contourné sa feuille de route : elle a posé un acte politique lourd de symboles, qui trahit une forme de confusion entre gouvernance ciblée et populisme conjoncturel. Cette dérive appelle une réaction vigoureuse de l’autorité régulatrice et une réaffirmation des lignes de mission pour chaque entité publique. Dans une démocratie administrative mature, la cohérence institutionnelle n’est pas un luxe — c’est un impératif catégorique.
Ces situations, loin d’être anecdotiques, dessinent les contours d’un mal plus profond : une culture de gestion souvent perméable aux arrangements, faiblement soumise à des audits externes crédibles, et dotée de conseils d’administration symboliques plutôt que stratégiques. Trop souvent, ces conseils servent de chambres d’enregistrement, composées de membres dont les compétences ou la disponibilité ne permettent pas un réel pilotage des orientations.
Dans de nombreuses agences et entreprises publiques, les actes de gestion échappent à l’analyse critique, les comptes sont peu ou mal publiés, et les performances rarement mesurées de manière indépendante. Cette déconnexion entre les missions proclamées et les pratiques effectives affaiblit le lien de confiance entre les citoyens et l’État. Elle nourrit un sentiment d’impunité qui, à terme, altère la légitimité même de l’action publique.
Plus encore, l’absence de transparence ouvre la voie à une forme de privatisation silencieuse de l’intérêt général. Lorsque des marchés sont attribués sans concurrence, que des données publiques sont partagées sans garde-fous, ou que des ressources stratégiques sont confiées à des acteurs externes sans débat ni évaluation, c’est la souveraineté de l’État qui est fragilisée. La puissance publique ne peut se réduire à un pouvoir d’arbitrage discret : elle doit être l’architecte visible et responsable de ses choix.
Il devient alors nécessaire de revisiter les outils de pilotage et d’évaluation des entités publiques. L’intégration d’indicateurs de performance, la publication obligatoire de rapports d’activités, et la mise en place d’audits annuels indépendants sont autant de leviers pour ancrer la responsabilité dans les faits. Il ne s’agit pas d’alourdir l’appareil administratif, mais de lui restituer sa colonne vertébrale morale et méthodologique.
À cette exigence s’ajoute celle de l’exemplarité managériale. À la tête de chaque structure publique, il faut désormais placer des profils capables de conjuguer vision stratégique, maîtrise opérationnelle et probité. La compétence ne doit plus être l’exception, mais la norme. Et la reddition de comptes doit devenir une routine institutionnelle, et non une contrainte conjoncturelle dictée par le scandale ou la pression médiatique.
C’est dans ce contexte que la récente décision du Premier ministre Ousmane Sonko, prise en Conseil des ministres, mérite une attention particulière. Il a appelé à une refonte du mode de désignation des représentants dans les conseils d’administration des agences et établissements publics, en insistant sur la qualité des profils, leur capacité d’analyse stratégique et leur engagement à assurer un contrôle effectif. Ce principe, rappelé avec insistance par le Premier ministre à la suite d’un constat préoccupant, pourrait constituer un jalon structurant dans la professionnalisation de la gouvernance, à condition d’être formalisé par un acte normatif clair et suivi d’une mise en œuvre rigoureuse.
Cette mesure pourrait constituer un tournant si elle est suivie d’effet. Elle invite à professionnaliser la gouvernance des structures publiques en y injectant des compétences avérées, en instaurant des obligations de résultats, et en renforçant les obligations de transparence. Il ne s’agit pas d’un simple réajustement administratif, mais d’un changement de paradigme : remettre les organes de gestion au cœur de la régulation, en faire des instances d’alerte, de contrôle et de prospective.
L’avenir de nos établissements publics, et au-delà, la crédibilité de l’État dans sa capacité à se réformer, repose sur cette exigence de rigueur. Il ne suffit plus d’affirmer une volonté de rupture. Il faut l’incarner à travers des mécanismes concrets, des procédures traçables, et une tolérance zéro face aux arrangements dissimulés. Chaque marché signé, chaque convention passée, chaque choix de partenaire stratégique doit désormais répondre à une exigence de justification et d’examen partagé.
Le cas de la LONASE, comme celui de l’ONAS, les questions récemment soulevées autour de l’ASER, ou encore l’épisode controversé impliquant la DER, ne représentent que la partie visible d’un iceberg administratif bien plus vaste. D’autres cas, moins médiatisés ou encore tus, témoignent de dérives similaires. Leur absence du débat public ne les rend ni moindres ni moins préoccupants. Non pas pour stigmatiser des personnes, mais pour déclencher une prise de conscience collective sur les failles de notre gouvernance publique. Le chantier est immense, mais il est à portée si la volonté politique affichée se mue en cadre normatif structurant.
La réforme annoncée par le Premier ministre, si elle est soutenue par des instruments de mise en œuvre robustes, pourrait ouvrir une ère nouvelle. Une ère où l’autorité de l’État ne se mesure pas à sa capacité à nommer, mais à sa capacité à contrôler, à évaluer et à sanctionner quand il le faut. C’est à ce prix que la République regagnera la confiance, et que la rupture cessera d’être un slogan pour devenir une méthode.
La transparence dans la gestion publique ne peut plus être un principe accessoire. Elle doit devenir le socle même de l’action administrative. Chaque acteur public, à quelque niveau qu’il se trouve, doit pouvoir répondre de ses actes, les documenter et les rendre compréhensibles aux citoyens. La démocratie ne s’arrête pas au vote : elle se prolonge dans l’accès à l’information et dans la possibilité de suivre le cheminement de la décision publique.
La confiance dans les institutions ne naît pas des discours, mais de la preuve. Elle se construit au fil des décisions cohérentes, des mécanismes vérifiables et des engagements tenus. Pour redonner sens à l’action publique, il faut redonner pouvoir au citoyen, non par des slogans, mais par des garanties solides et constantes.
Le crédit accordé à un homme ne peut pas effacer les exigences de la République. Dans ce combat pour la vérité, nul ne peut s’abriter derrière la confiance sans l’honorer par des preuves. La réforme annoncée doit désormais s’incarner dans les actes, les outils et les pratiques. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que le discours de rupture pourra convaincre durablement.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com
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