Le Sénégal vient de franchir une étape majeure dans la restauration de sa crédibilité financière à l’échelle internationale. En étant officiellement retiré de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), le pays obtient une validation significative pour les efforts entrepris depuis plusieurs années dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette sortie consacre une trajectoire nouvelle, portée par une gouvernance qui engage un tournant structurel, renforce la transparence et rétablit la souveraineté des institutions. Elle n’est ni fortuite, ni symbolique : elle incarne un cap stratégique fondé sur la réforme, l’action cohérente et l’exigence de crédibilité.
L’inscription du Sénégal sur cette liste, en février 2021, traduisait des failles jugées préoccupantes dans le dispositif national de prévention, de détection et de répression du blanchiment de capitaux. Des secteurs entiers échappaient à la vigilance des autorités, les mécanismes de gel des avoirs restaient inefficaces, les condamnations judiciaires étaient rares, et l’identification des bénéficiaires effectifs, quasiment inexistante. Le pays courait ainsi le risque d’être perçu comme une plateforme permissive, tolérante aux flux illicites logés dans l’immobilier, le commerce informel ou les chaînes logistiques de convenance.
C’est dans ce contexte que des réformes ont été engagées, notamment sous l’égide de la CENTIF, appuyée par la BCEAO, le GIABA et certains partenaires techniques. Des lois ont été adoptées, des dispositifs renforcés, des synergies établies entre les corps de contrôle, les régulateurs et les autorités judiciaires. Le Sénégal a mis à jour ses cadres réglementaires, supervisé les secteurs à risque, renforcé la traçabilité des opérations et appliqué des sanctions. Ce retrait de la liste traduit donc une reconnaissance concrète des efforts entrepris.
Alors que des puissances régionales comme la Côte d’Ivoire, le Kenya ou l’Algérie rejoignent la zone grise, le Sénégal en sort. Ce croisement inverse des trajectoires n’est pas anodin : il signale un basculement assumé, une volonté claire de restaurer la confiance. Mais ce retrait, aussi mérité soit-il, n’est pas une fin. Il est un commencement.
Le véritable enjeu ne réside pas dans la conformité procédurale, mais dans la permanence de l’intégrité publique. Le blanchiment de capitaux est le prolongement d’un écosystème d’illégalités : corruption, détournements, fraudes fiscales, enrichissements illicites. Tant que ces pratiques persisteront, tant que l’impunité prévaudra sur la reddition des comptes, les circuits du recyclage criminel trouveront matière à se renouveler. Voilà pourquoi cette avancée institutionnelle doit s’accompagner d’une réforme structurelle de la gouvernance.
La République ne peut pas célébrer une sortie de liste tout en ignorant les dossiers emblématiques qui appellent encore un traitement judiciaire complet et exemplaire. Le blanchiment est un processus structuré, rarement isolé. Des affaires telles que les 94 milliards de francs CFA, le scandale du Prodac, les anomalies dans les contrats pétroliers de Petro-Tim, les accusations de surfacturation dans le dossier Bictogo, les poursuites en cours sur le fonds Force-Covid-19 ou encore l’affaire du versement anticipé de 2,425 milliards de francs CFA dans le cadre du contrat liant l’ASER à la société espagnole AEE Power EPC, rappellent que l’enjeu dépasse la conformité technique. Poursuivre efficacement les infractions d’origine est une condition essentielle pour casser les chaînes de recyclage. Cela interpelle les magistrats, les organes de contrôle, les services de renseignement financier, mais aussi les décideurs politiques.
Ce retrait ouvre aussi un champ de possibilités économiques. Il restaure la crédibilité du pays auprès des bailleurs, facilite les transferts internationaux, rassure les banques correspondantes et réduit les surcoûts liés aux soupçons de non-conformité. C’est un gain pour la diaspora, les investisseurs, les start-ups de la fintech, et les entreprises locales aspirant à s’intégrer aux chaînes d’approvisionnement mondiales.
Mais il y a urgence à éviter l’euphorie. Car derrière l’annonce, demeure la réalité : le Sénégal reste vulnérable. L’économie informelle, qui absorbe près de 40 % de la richesse nationale, échappe encore à toute régulation effective. Les crypto-monnaies, les sociétés écrans, les dons d’origine douteuse prolifèrent dans un vide législatif. Les professions non réglementées – agents immobiliers, marchands de luxe, associations religieuses – constituent autant de niches à haut risque si elles ne sont pas encadrées avec rigueur.
La CENTIF, bien que compétente, reste sous-dotée. Les services d’enquête manquent de formation spécialisée. Et la culture de l’anonymat patrimonial – souvent encouragée par une élite politique peu encline à la transparence – continue d’entraver l’identification des flux. Ce n’est qu’en consolidant cette architecture que le pays pourra inscrire durablement cette sortie dans une dynamique irréversible.
Dans cette perspective, il est crucial de restaurer une cohérence dans la lutte contre la corruption. Les autorités doivent rapporter le décret n° 2024-06 du 9 février 2024, qui a renforcé les pouvoirs de l’OFNAC tout en rompant son lien organique avec le Parquet. Ce lien doit être rétabli afin de garantir l’efficacité des poursuites et l’unicité de l’action publique. La centralisation des dossiers au niveau du Parquet financier devient ainsi un impératif stratégique pour asseoir une chaîne de responsabilité solide, lisible, et crédible aux yeux des partenaires internationaux.
À plus long terme, la fusion de l’OFNAC et de la CENTIF pourrait constituer une piste structurante. Elle permettrait d’assurer la continuité de l’action entre la phase de détection et celle de répression, d’unifier les canaux d’investigation financière, et de rendre l’architecture de prévention plus lisible, plus réactive et plus efficace. Cette évolution renforcerait la cohérence institutionnelle de la lutte contre les flux illicites, tout en consolidant la capacité d’intervention rapide de l’État face aux montages financiers sophistiqués.
Ce pas franchi intervient au moment où une nouvelle gouvernance tente de redéfinir les règles du jeu. La rupture prônée par le tandem Diomaye–Sonko devra se traduire par une justice économique renforcée, une séparation claire entre pouvoir politique et circuits financiers, et une moralisation effective de la vie publique.
Il s’agit désormais d’ancrer cette dynamique dans le quotidien. Lutter contre le blanchiment, c’est refuser de blanchir symboliquement les corrupteurs, d’ignorer les fortunes soudaines ou de détourner le regard face à la richesse illégitime. L’intégrité ne peut être un vœu pieux. Elle doit devenir une ligne de conduite collective.
Le Sénégal est sorti de la liste. Il reste maintenant à sortir des pratiques.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com
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