Le lundi 11 août 2025, Thiaroye-sur-mer et Yarakh (baie de Hann) ont été durement frappés par une forte houle qui a fait d’énormes dégâts. Dans cette échancrure du littoral dakarois, les populations, abandonnées à leur triste sort, font face aux défis climatiques et aux conséquences abrasives de l’érosion côtière. Reportage !
Elle ronronne avec douceur comme un félin repu après avoir tout dévoré sur son passage. La mer, ce grand bleu qui s’est récemment déchaîné et a dévasté avec une rare furie plusieurs localités situées sur le littoral de Dakar, montre un autre visage plus calme en cette matinée du lundi 18 août 2025. À Thiaroye-sur-mer, de petites vagues dansant sous l’effet du vent bruissent légèrement. Elles lèchent sans cesse la minuscule bande sablonneuse qui les sépare des habitations presque pieds dans l’eau.Au large, l’île de Gorée, la corniche Est, le port autonome de Dakar ainsi que quelques porte-conteneurs et autres vraquiers luisent au loin sous un ciel semi-nuageux, offrant un paysage de carte postale. Un magnifique décor qui contraste avec le spectacle sinistre qu’offre cette échancrure du littoral dakarois en forme d’anse – autrefois réputée pour sa beauté -, aujourd’hui transformée en dépotoir d’ordures à ciel ouvert.
Des tas d’immondices jonchent le sol à des kilomètres. Ici, le sable brun a complètement noirci. Sur cette plage située à juste une dizaine de kilomètres de Dakar, la pollution marine a atteint son summum. La scène est désolante ! On se croirait à la décharge de Mbeubeuss. Les habitants (majoritairement composés de pêcheurs) ont visiblement un rapport heurté avec la salubrité et très peu de respect – sinon pas du tout – pour l’environnement et leur cadre de vie. Ils jettent ordures, eaux usées à la mer… même des animaux morts gisent sur la berge. Un festin pour les chiens et chats errants, sous les regards royalement indifférents des hommes.L’érosion que subit cette zone côtière depuis plusieurs décennies, aggravée par les changements climatiques, vient rajouter un chouia de précarité aux conditions d’existence déjà misérables. Principaux agents d’érosion agissant comme des abrasifs qui érodent le trait de côte, les houles s’abattent sur les 700 kilomètres de façade maritime sénégalaise de façon récurrente et Thiaroye-sur-mer est l’une des zones les plus vulnérables. Avec les changements climatiques, ces phénomènes naturels se manifestent à répétition, faisant fondre des kilomètres de terres. Sur cette partie est du littoral de Dakar, les manifestations de houle s’amplifient avec des effets destructeurs.
Dégâts matériels et environnementaux
Le lundi 11 août dernier, la mer s’est une nouvelle fois déchaînée en début de matinée. Les images sont apocalyptiques ! « C’était une journée cauchemardesque », raconte le pêcheur Abdoulaye Mané qui rejoue le film de la catastrophe. « Ça aurait pu être pire si la houle était accompagnée de vents forts. Si les deux étaient combinés, toutes les maisons situées en bordure de mer seraient englouties », confie-t-il, l’air plutôt rassuré. Les dégâts sont quand même considérables : des pans de maisons effondrés, des filets de pêche emportés, du matériel de pêche endommagé. Plusieurs pirogues ont été amarrées à la va-vite dans les ruelles exiguës de ce bidonville pour éviter qu’elles ne dérivent avec le courant marin.Le quartier est en sursis et il en est bien conscient. « Une autre houle plus dangereuse a été annoncée. D’ici cinq ans, toutes ces maisons établies en bordure de mer ici à Thiaroye-Guedj vont disparaître comme plusieurs autres ont disparu sur cette même côte. Je suis né ici dans cette maison en 1957 et je peux vous dire que le rivage était à 400, 500 mètres, il y a à peine trente ans », déclare Khalifa Sall. Une affirmation corroborée par les résultats de plusieurs études scientifiques sur l’érosion côtière au Sénégal. D’après celles-ci, il est établi que de Diembéring (Ziguinchor, sud) à la Langue de Barbarie (Saint-Louis, nord), la mer rogne en moyenne 1 à 1,33 mètres par an sur la côte.
Conséquence sur l’activité de pêche
À côté des dégâts matériels et environnementaux, la houle a mis à l’arrêt l’activité de pêche à Thiaroye-sur-mer. Plusieurs pêcheurs préfèrent attendre que dame nature soit plus clémente pour reprendre leur activité de subsistance. Un gros manque à gagner, selon Birahim Ndir. « Depuis une semaine, on n’ose pas s’aventurer en mer. On ne veut pas risquer nos vies. Ça a des conséquences sur nos finances, mais la vie n’a pas de prix », lâche-t-il, résigné.D’autres, plus téméraires, bravent l’océan et les prévisions alarmistes de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (ANACIM), en toute connaissance de cause. C’est le cas de Mouhamed Kane, frère cadet de Oumar Kane Reug-Reug (détenteur du titre mondial des poids lourds de la ONE Championship, MMA), trouvé sur la plage en train de s’affairer aux derniers réglages avant de larguer les amarres. « La pêche est notre gagne-pain, on ne peut pas rester les bras croisés, attendant que la météo s’améliore. On laisse notre destin entre les mains de Dieu », dit le jeune Kane, lui aussi lutteur à ses heures perdues.
Le dragage du port et l’extraction du sable marin pointés du doigt
Sur les causes de cette forte houle du lundi 11 août, la majorité des habitants de Thiaroye-sur-mer pointe du doigt deux facteurs majeurs : les travaux de dragage d’une partie du port autonome de Dakar et l’extraction clandestine du sable marin par les riverains. Ajoutés aux dépôts sauvages de déchets sur la plage qui dégradent l’écosystème, le cocktail est plus que explosif en ce sens que tout cela décuple la vulnérabilité de cette baie allant de Thiaroye à Yarakh (Hann) face à ces phénomènes.« Les habitants du quartier sont obligés d’extraire le sable marin, – même si c’est interdit par la loi -, pour construire leur maison, parce qu’avec la configuration des ruelles qui sont très exiguës faute de lotissement, aucun camion ne peut accéder pour leur livrer du sable. De même, les camions de ramassage d’ordures ne peuvent pas y accéder », explique le délégué de quartier de Santhiaba, Issa Diop, qui préconise une restructuration de ce quartier de pêcheurs avec comme solution structurelle : « reloger les familles, raser les maisons menacées par la mer et mettre des digues de protection ».
Le relogement, une option que les sinistrés ne rejettent pas
Des mesures qui sont à l’étude, comme annoncé par le Chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, lors de sa visite à Thiaroye, le samedi 16 août. Cependant, préviennent les sinistrés de la Baie de Hann qui vivent également la même situation, il faut un suivi rigoureux. Ici, sur la baie de Hann, où la situation est plus catastrophique, beaucoup de familles n’en peuvent plus de dormir d’un œil, obligées de rester aux aguets pour parer à toute éventualité.Frappées pour la deuxième fois depuis 2015 par la houle, Khoudia Ndong et sa famille adhèrent à toute politique de relogement. À l’en croire, en 2015, lorsque la houle avait dévasté plusieurs maisons, le premier ministre d’alors, feu Mohamed Boun Abdallah Dione, s’était engagé à reloger les familles sinistrées. « Un recensement avait été fait par le préfet et des terrains avaient été identifiés pour ces besoins. Mais au final, les parcelles ont été vendues à l’insu des ayants droit que nous sommes », révèle-t-elle. Un scandale qui n’a toujours pas révélé tous ses secrets.Pour Coumba Thiaw et sa famille, qui squattent, depuis le lundi 11 août, une maison abandonnée à quelques mètres de la leur, du moins des ruines qui en restent, un programme de relogement serait la fin de cette persistante menace aquatique.
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