[Focus 1\2] Dakar : Les plages s’éloignent des habitants face à la privatisation

Dakar, en tant que presqu’île de 550 kilomètres carrés de superficie, bénéficie d’une façade maritime de 133,69 kilomètres, un élément clé de son identité. Paradoxalement, pour ses habitants, accéder aux meilleures plages devient souvent un véritable casse-tête, les espaces publics en bon état se raréfiant. La privatisation accélérée du littoral réserve la mer à une élite, tandis que l’accès pour la population se réduit. Entre chantiers stoppés, plans d’aménagement d’urgence et mobilisation citoyenne, l’État tente de préserver les derniers espaces publics.
Privatisation à marche forcée
Avant l’intervention de l’État sénégalais en 2024, le littoral de Dakar était progressivement accaparé par des acteurs privés, transformant les plages publiques en espaces exclusifs. Ce processus s’est déroulé rapidement, sans considération suffisante pour les aspects sociaux et économiques. Dès les années 1990, la privatisation s’est intensifiée avec des constructions illégales ou irrégulières sur le domaine public maritime. Des hôtels, villas et restaurants ont été édifiés à moins de 100 mètres de la mer, privant ainsi les Dakarois d’un accès libre à la plage.

Réactions citoyennes et associatives
Cette situation a suscité l’indignation des habitants et des associations. De nombreux citoyens déplorent la difficulté d’accès aux plages. Des collectifs comme EMAD et « Taxaw Temm Aaar Sunu Gokh » dénoncent une « confiscation de la mer », où hôtels et résidences bloquent les entrées des plages. Doudou, un travailleur, raconte qu’avant le régime actuel, « des policiers interdisaient chaque jour l’accès à la plage ». Aujourd’hui, bien que plusieurs plages soient de nouveau accessibles, les tarifs, jugés trop élevés, varient entre 2 000 et 25 000 FCFA selon l’établissement et l’âge. Certains optent pour des plages privées comme Voile d’Or, Terrou-Bi ou Teranga Beach Club, attirés par leur sécurité et leur propreté. Naomie, étudiante, estime qu’il faudrait réduire les prix d’accès et des services pour que tous puissent en profiter. Face au manque d’espaces publics bien aménagés, certains jeunes se tournent vers des zones de baignade non sécurisées en banlieue, augmentant les risques d’accidents.
 
L’État tente de préserver l’essentiel
L’État n’est pas resté inactif face à ce problème. En mai 2024, le gouvernement a ordonné la suspension de tous les chantiers côtiers autour de Dakar pendant deux mois, afin de lutter contre la privatisation illégale du domaine public maritime. Une commission a été mise en place pour contrôler la légalité des titres fonciers existants et futurs.
En juin 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a visité la plage publique d’Anse Bernard et exigé un plan d’aménagement d’urgence. Il a déclaré sans ambiguïté : « Nous n’allons pas laisser des personnes s’accaparer ce lieu… Nous allons aménager ce site pour le rendre plus accueillant pour le public. »
À l’été 2024, un atelier national a validé un « Plan d’action quinquennal de gestion intégrée des zones côtières » (PAQ-GIZC). Ce plan prévoit notamment la création d’une autorité nationale dédiée à la protection du littoral, avec le soutien financier de la Banque mondiale et des partenariats internationaux.
 
La question de l’accès aux plages de Dakar dépasse le simple cadre du loisir ; elle touche à un droit fondamental d’accès à un espace public partagé. Face à des décennies de privatisation progressive du littoral, les habitants réclament aujourd’hui une gestion plus juste et équitable des côtes. L’État, désormais engagé dans une série de mesures correctives, tente de reprendre le contrôle pour garantir un accès libre, sécurisé et durable à la mer. Cependant, la réussite de ces efforts dépendra de la volonté politique à long terme, de la transparence dans la gestion foncière et, surtout, d’une réelle implication des citoyens dans la sauvegarde de ce patrimoine commun.