Ce que révèle le pas de Sonko sur la terre de Sankara

 

La présence du Premier ministre Ousmane Sonko à Ouagadougou n’a laissé personne indifférent. A peine avait-il posé le pied sur le sol burkinabè que les procès d’intention s’enchaînaient : alignement avec des régimes de rupture, défi lancé à la CEDEAO, tentative de diplomatie parallèle. Les commentaires ont fusé, souvent à chaud, parfois à charge. Et comme souvent, l’écume des réactions a failli noyer l’essentiel.

Car si cette visite dérange, c’est précisément parce qu’elle échappe aux codes. Parce qu’elle ne joue ni la prudence diplomatique, ni la mise en scène calculée. Elle rompt avec les postures attendues pour parler un autre langage : celui de la souveraineté assumée, du dialogue direct, de la solidarité entre peuples sans filtre ni détours. Ce déplacement n’a rien d’une digression. C’est une affirmation. Une manière de situer le Sénégal dans le tumulte de la sous-région non pas en arbitre distant, mais en voisin lucide. Non pas au-dessus des lignes de fracture, mais au cœur des réalités humaines.

Dans un contexte où la CEDEAO vacille, où l’Afrique de l’Ouest se fragmente entre sanctions, tensions et repli stratégique, ce déplacement prend une résonance particulière. Il ne s’agit pas d’un acte de défi, mais d’un repositionnement. Refuser l’isolement imposé à des pays frères, ce n’est pas cautionner leurs méthodes, c’est reconnaître qu’on ne construit pas la stabilité en dressant des murs entre voisins. Ce que ce voyage suggère, c’est une nouvelle manière de faire : une diplomatie qui ne cherche pas à séduire des partenaires extérieurs, mais à renouer les liens internes de la région, à hauteur de peuples, d’histoires, de mémoires.

Certes, la diplomatie est du ressort du Président de la République. C’est une évidence institutionnelle. Mais dans un Sénégal gouverné par un duo cohérent, le Premier ministre est aussi le prolongement politique d’une vision portée au sommet de l’État. Il matérialise, par sa présence, un message clair : la rupture ne sera pas seulement interne, elle sera aussi relationnelle, géostratégique, et profondément africaine.

Et si ce déplacement a tant de poids, c’est aussi parce qu’il a coïncidé avec un moment fort : l’inauguration du mausolée de Thomas Sankara. Ce geste n’a rien d’anodin. Il ne s’agit pas seulement d’un hommage protocolaire. En étant présent à cet instant, Sonko a renoué un fil que beaucoup avaient laissé se rompre. Sankara n’est pas un simple souvenir. Il est une boussole qui incarne une certaine idée de l’Afrique : digne, intègre, insoumise, profondément connectée à son peuple. En foulant cette terre, à cette date, aux côtés des autorités burkinabè, Sonko n’a pas lancé un message. Il a réveillé une mémoire. Et peut-être aussi une promesse.

Ce geste va plus loin qu’un symbole. Il touche à une dimension souvent oubliée : celle de la souveraineté culturelle et narrative. Dans un continent trop souvent sommé de désigner ses héros avec validation extérieure, célébrer Sankara sur sa propre terre, sans détour ni filtre, c’est affirmer un droit fondamental : celui de raconter nous-mêmes ce que nous avons été, ce que nous sommes, et ce que nous aspirons à devenir.

 

Mais ce geste engage aussi, car on ne foule pas la terre de Sankara sans éveiller des espoirs. En allant à Ouaga, Sonko a activé une mémoire vive, une mémoire exigeante, celle d’un dirigeant qui a voulu faire de l’État un levier de transformation réelle, rapide, radicale. Cette mémoire-là ne se satisfait pas de symboles. Elle appelle à la cohérence, à la rigueur, à la fidélité aux engagements pris. En s’inscrivant dans cette filiation, le pouvoir sénégalais s’expose à une attente accrue : que la rupture proclamée devienne une rupture vécue, que la dignité célébrée à l’extérieur s’enracine dans les politiques intérieures.

C’est là, peut-être, le défi le plus fort de ce déplacement : ne pas laisser le geste retomber dans l’anecdotique, mais l’assumer comme une ligne directrice. Car le risque, dans une Afrique trop souvent habituée aux promesses trahies, c’est le désenchantement rapide. Et ce serait une erreur stratégique que de croire que la puissance symbolique d’une telle visite suffit à inscrire un projet dans la durée. Elle en constitue le socle, mais le socle seul ne tient pas l’édifice. Il faudra désormais prouver, dans les décisions, dans les arbitrages, dans les priorités budgétaires, que ce pas posé sur la terre de Sankara n’était pas une exception — mais le premier d’un long chemin.

Ce que révèle le pas de Sonko sur la terre de Sankara, c’est une méthode. Une orientation. Un ancrage. C’est l’idée qu’on ne construit pas l’avenir en effaçant les vérités du passé. C’est la conviction qu’on ne bâtit pas la stabilité sur l’exclusion. C’est l’intuition profonde que l’Afrique, pour respirer, doit d’abord cesser de se méfier d’elle-même.

Il n’y avait ni tribune, ni communiqué grandiloquent. Mais il y avait un geste. Et ce geste, dans sa sobriété, contenait une densité rare. Il disait que le Sénégal du changement ne parle pas seulement réforme, mais aussi proximité. Qu’il ne gouverne pas seulement pour l’intérieur, mais aussi avec une conscience du dehors. Qu’il ne cherche pas à briller seul, mais à construire autour de lui.

En allant à Ouagadougou, Ousmane Sonko n’a pas déplacé un agenda. Il a déplacé, une frontière mentale. Celle qui nous empêchait, jusqu’ici, de nous parler franchement entre nous.

Hady TRAORE

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique

Fondateur du Think Tank ‘Ruptures et Perspectives’

hadytraore@hotmail.com